Retrouvez l’interview de Pierre Ferracci au micro d’Hedwige Chevrillon dans La Grande Interview sur BFM Business, le 17 avril 2023, quelques minutes avant l’intervention du président de la République.

“J’ai toujours en tête les propos de Robert Badinter, qui a été, lui-même, président du Conseil constitutionnel il y a quelques années et qui disait : ‘toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise mais toute loi mauvaise n’est pas nécessairement anticonstitutionnelle.’ On est au cœur du débat. On a un vrai problème de démocratie parce que même le Conseil constitutionnel, s’il a validé le projet, a constaté que, de manière assez inhabituelle, on avait accumulé des petits dérapages. Aujourd’hui, il faut réparer tout cela et je pense que réparer ce déficit démocratique, c’est le réparer au niveau de la société, mais c’est aussi au niveau des entreprises. peut-être, d’ailleurs, que le patronat a un rôle à jouer pour que l’on sorte… ce n’est pas le président de la République qui, ce soir, en sortira tout seul, je ne suis pas sûr que sa voix sera bien entendue ce soir. Certains disent qu’il fallait qu’il parle vite, moi, je pense qu’un peu de recul aurait été nécessaire. Il a créé les conditions pour ne pas voir les syndicats en promulguant très rapidement. Il y a un déficit démocratique qu’il faut traiter à tous les niveaux de la société parce que le peuple a envie d’être entendu dans les entreprises, dans la société et être un peu plus partie prenante des grandes décisions qui sont prises en son nom. ”

“Qu’il n’y ait pas eu de débat, notamment entre la Présidentielle et les Législatives, fait que la crise politique est réelle aujourd’hui. Le Président et sa majorité – relative – disent aujourd’hui : ‘c’était dans le programme’. Le seul problème, c’est que les Législatives ont quand même nuancé un petit peu le poids qui était donné au président de la République et cela, on l’oublie. Sur le plan social, aujourd’hui, il y a une inflation galopante, une crise économique. Il y a une transition écologique, dont on sait qu’elle est absolument nécessaire, mais dont on sait qu’elle va coûter cher, qu’elle va bousculer beaucoup d’emplois, en créer mais aussi en supprimer certains. Il y a donc un contexte social qui explique aussi que l’opinion publique – et c’est la différence avec les précédentes réformes – n’a jamais été aussi massivement auprès des syndicats, qui, par ailleurs, n’ont jamais été aussi ensemble et unis que cette année, et cela, cela change. “

“Ce qui explique la gêne du patronat, c’est non seulement qu’il était pour la réforme, mais il se sentait peut-être un peu responsable du fait – et c’est l’un des problèmes de la préparation de la réforme des retraites – que, sur le travail des seniors, on n’a pas fait grand chose dans les entreprises depuis quelques années. Eric Trappier, le président de l’UIMM, vient de dire qu’il fallait travailler la question. Il est temps. Il est temps parce que ce n’est pas uniquement à partir de 60 ans que se pose le problème des seniors, il se pose dès 55 ans. On a un taux d’emploi des seniors, et des jeunes également, qui est beaucoup plus faible que dans l’ensemble de l’Europe.”

“Le président de la République a aussi promulgué la loi pour couper les pattes à la deuxième tentative de faire un référendum d’initiative partagée. Je crois que c’est une erreur parce qu’il a refusé de recevoir les syndicats avant que le projet de loi soit soumis au Conseil constitutionnel et quand il a proposé de le faire après, le fait de promulguer la loi immédiatement amenait, fort logiquement, les syndicats à refuser. C’est un peu dommage car on est dans un schéma qui est, selon moi, un vrai problème constitutionnel où le président de la République est quasiment devenu Premier Ministre aujourd’hui et le fait que le référendum ne soit plus pratiqué depuis 2005 – on sait dans quelles conditions on a arrêté la pratique référendaire –  est aussi un vrai problème. Donc, à partir de là, il aurait pu écouter les syndicats avant que le Conseil constitutionnel prenne sa décision  et il aurait pu les écouter pour les entendre avant de promulguer puisque les syndicats – unanimes – demandaient de renoncer à la promulgation. ”

“Il y a un vrai problème dans le regard que le président de la République porte sur la démocratie sociale et sur la place des syndicats dans la société française, pas seulement les syndicats, d’ailleurs, mais les corps intermédiaires et c’est peut-être ce que les Français lui reprochent aujourd’hui. Il faut respecter les syndicats. Ce ne sont pas toujours des freins à la réforme. Il y a beaucoup de réformes qui se font dans les entreprises et, parfois, avec un patronat extrêmement dur, conservateur. Et, pour une fois que les syndicats sont unis, il faut les prendre comme tels et arrêter de ne voir que leurs défauts. Moi, je vois plutôt leurs qualités en ce moment et leur nécessité dans la société dans laquelle nous vivons où les partis politiques sont complètement explosés. Il faudra un peu de temps car le mal est profond et quand les dirigeants syndicaux parlent de mépris, d’ignorance de la réalité du terrain ou des réalités du travail, je crois qu’il faut les écouter et cela prendra un peu de temps !”

“La loi Travail, cela peut être la meilleure comme la pire des choses ! […]. Les ordonnances de 2017, qui ont été saluées par les libéraux et par le patronat, ont porté atteinte au dialogue social dans l’entreprise. Il faut les corriger. La fusion [des instances représentatives du personnel] a été mal conduite. Les questions de santé au travail sont aujourd’hui dévalorisées. Il faudra revenir là-dessus. Quand je parle de démocratie dans l’entreprise, c’est peut-être aussi une correction des ordonnances qu’il faut pratiquer aujourd’hui. Le dialogue social a été appauvri par les ordonnances.”

“Je vois trois problèmes, en dehors des services publics, premièrement, le partage de la valeur. L’accord va dans le bon sens mais il n’est pas suffisant. Il y a un besoin d’équité aujourd’hui sur toute la planète, pas qu’en France, qui est beaucoup plus fort qu’avant. Deuxièmement, il faut que l’on trouve un meilleur équilibre entre les enjeux économiques, les enjeux écologiques et les enjeux sociaux. On est tous d’accord pour protéger la planète, on est tous d’accord pour dire que, pour cela, il faut une économie puissante. Eh bien, sur le plan social, il faut investir massivement dans les transitions professionnelles qui vont accompagner cette transition écologique. Et, troisième élément, aussi important, il faut que, dans la gouvernance des entreprises, les salariés, les représentants des salariés ou les représentants syndicaux soient mieux associés aux décisions stratégiques dans l’entreprise.”

“Il faut lier la transition écologique à la réindustrialisation. Il y a un effort gigantesque à faire ! C’est un enjeu essentiel, autrement, la transition écologique, si on ne règle pas ce problème de réindustrialisation, sera refusée par l’opinion.”

“Un peu inquiet car Emmanuel Macron va avoir du mal à reprendre la main et il faut qu’il réfléchisse à la façon de renouer avec les syndicats. La démocratie sociale est aussi importante dans ce pays que la démocratie politique. Il faut la soigner. Aujourd’hui, elle est plus vivante en entreprise que dans les rapports avec l’Etat et c’est un peu dommage.”

Vous n’avez pu regarder l’entretien de Pierre Ferracci en direct ? Voici le Replay, dans les conditions du Direct : cliquez ICI pour revoir l’interview. Merci à la rédaction de BFM Business pour l’autorisation.

Pierre Ferracci était l'invité de La Grande Interview sur BFM Business, le 17 avril 2023 Pierre Ferracci était l'invité de La Grande Interview sur BFM Business, le 17 avril 2023 Pierre Ferracci était l'invité de La Grande Interview sur BFM Business, le 17 avril 2023

Retour