France, Allemagne : à chaque diplôme sa formation continue ?

Distinguer la formation de la certification

Le système français repose sur la distinction entre la formation et la certification : les certifications sont enregistrées dans le Répertoire National de Certification Professionnelle (RNCP), qui est établi par la Commission Nationale de la Certification Professionnelle (CNCP). Le répertoire regroupe premièrement les diplômes et titres à finalité professionnelle délivrés au nom de l’Etat ; ils y sont enregistrés automatiquement. D’autre part des demandes d’enregistrement peuvent être effectuées pour des certifications dont l’organisation est centralisée par des ministères, réseaux consulaires, ou organismes de formations associatifs et privés, ou dépendant d’un seul établissement public ou privé. Enfin, les branches professionnelles effectuent une requête pour enregistrer leurs Certificats de Qualification Professionnelle (CQP) dans le répertoire. La CNCP examine les compétences et connaissances associées au titre, ainsi que la « fiabilité du processus mis en œuvre pour la qualification » (pertinence de la certification par rapport aux besoins de compétences, moyens mis en œuvre), et non le programme de formation en tant que tel. Ainsi, les diplômes ne se distinguent pas selon leur mode d’acquisition, et il est possible d’obtenir certains diplômes par la formation initiale et continue. Les adultes représentent ainsi 20% de la population candidate au CAP, que ce soit par la voie de la formation continue ou en candidat libre («Les Référentiels d’activités professionnelles aux prises avec l’emploi, le travail et la formation – l’exemple des nouveaux CAP», Fabienne Maillard, 2014).

Le système de formation professionnelle initial allemand repose quant à lui sur le « système dual », rattaché au second cycle de l’enseignement ; le travail d’apprentissage en entreprise est complété par une formation théorique. De même, il est possible de devenir apprenti dans le cadre d’une formation continue mais le cadre diffère, tout comme le diplôme qui sanctionne le parcours. Premièrement, la formation continue règlementée de perfectionnement au cours d’une carrière professionnelle vise à approfondir les compétences obtenues par la formation initiale et délivre de fait des certifications qui lui sont propres. Typiquement, le brevet de maître-artisan, obtenu chaque année par 17 000 salariés, ou de cadre spécialisé dans l’industrie et le commerce, sont délivrés par des chambres consulaires. Les critères de d’obtention du diplôme sont cependant règlementés par des lois-cadre fédérales. A l’inverse, les formations au diplôme de « Techniker » sont régulées par les Länder et organisées par des établissements d’enseignement professionnel, les « Fachschulen ». On distingue enfin la formation destinée aux demandeurs d’emploi, qui dépend entièrement de l’Etat fédéral. Le référentiel allemand de certification renvoie ainsi à un programme de formation, à un métier (« beruf » en allemand) et non à un champ professionnel comme le souligne une note du Céreq.

Ainsi, en France le diplôme est dissocié de la formation suivie tandis qu’outre-Rhin le diplôme s’inscrit dans la continuité de la formation dispensée, au sein d’un secteur professionnel. Par ailleurs, si dans les deux pays le diplôme vise à une meilleure insertion sur le marché du travail grâce à sa « capacité de signal », en France il sert également de passeport au sein du système scolaire afin de poursuivre des études.

Cette opposition des deux conceptions de la certification explique la difficulté allemande à mettre en place des processus de validation des apprentissages formels et informels : le Centre Européen pour le Développement de la Formation Professionnelle (Cedefop) souligne que « l’ouverture des certifications à un éventail plus large d’expériences et de parcours d’apprentissage est étroitement liée à la nouvelle préférence des politiques et pratiques actuelles d’éducation et de formation pour les approches fondées sur les résultats de l’apprentissage, notamment l’élaboration et la mise en œuvre de cadres nationaux de certifications ».

Les référentiels de certification reflètent des visions différenciées de la formation continue

Les distinctions observées dans les systèmes de certification des deux pays s’illustrent également dans leurs conceptions différentes de la formation professionnelle, plus précisément des filières techniques.  Ainsi, en Allemagne la formation continue constitue une progression logique au sein d’une filière professionnelle ; il est possible d’approfondir ses acquis dans la continuité du système initial. Cette vision de la formation professionnelle est beaucoup moins prégnante en France, où ce système permet plutôt de « prendre sa revanche sur le système initial », ce qui peut sembler paradoxal puisque le système de formation professionnelle s’appuie sur des certifications identiques à la formation initiale. L’obtention d’un titre est donc considérée comme un objectif indépendant du moyen utilisé pour l’obtenir, tandis qu’en Allemagne l’obtention d’un diplôme est le prolongement logique de la formation suivie. Il vise à exercer un métier et ne peut pas se distinguer de sa voie d’accès. La distinction entre les deux pays s’effectue également dans la définition de la compétence : si en Allemagne il s’agit d’un ensemble de savoir-faire professionnels, en revanche le « titre » joue un rôle primordial en France.

La formation professionnelle allemande peut sembler plus spécifique, mais elle vise en réalité à acquérir des compétences transversales et accorde une place importante aux objectifs de développement personnel. Le diplôme traditionnel français délivré par l’Education Nationale mêle les savoirs généraux et spécifiques, tandis que le brevet de maîtrise allemand reflète l’acquisition d’un savoir-faire propre à un métier. La délivrance du brevet de maîtrise dépend en effet des chambres consulaires. En effet, l’enquête Continuing Vocational Training Survey (CVTS), dont la dernière version remonte à 2005, montre que les Allemands se forment moins sous forme de cours qu’en France (54% contre 71%) mais usent plus des autres modes de formation continue, sous forme de qualification sur le lieu de travail, d’auto-formation, etc.

Brockmann et al. (2008) fait le lien entre vision de la qualification et objectifs assignés à la formation professionnelle : dans certains pays, les programmes de formation ont pour but d’acquérir certaines compétences en mélangeant les cours théoriques et pratiques. Une autre vague de pays européens associent a contrario la formation professionnelle à la volonté d’accroître « l’employabilité » des individus par le biais de certifications de compétences. Le premier système s’apparente à celui mis en place en Allemagne ou en Autriche tandis que le second correspond à la conception anglo-saxonne de la formation professionnelle (Rauner, 2006).

A priori, la France se situe entre ces deux approches antagonistes. Il est cependant intéressant de noter qu’en Allemagne les grilles de certification sont élaborées en étroite collaboration avec les partenaires sociaux, bien qu’ils soient moins impliqués que dans la formation initiale, tandis qu’il s’agit plutôt d’une consultation en France. Ainsi la formation se conçoit dans le champ relativement restreint d’un métier en Allemagne, mais cela n’enlève rien à son impact sur l’employabilité dès lors que la formation répond à un besoin sur le marché du travail. La correspondance entre le marché du travail et les diplômes décernés est d’autant plus forte qu’en Allemagne les instances qui créent les certifications et celles qui les reconnaissent sont identiques. Dans les deux pays les conventions collectives définissent les formations et critères de qualification requis pour un poste, en revanche en France le rôle des syndicats est moins perceptible dans la création des diplômes. Ainsi, les réformes liées aux référentiels de certification ne sont pas immédiatement traduites dans les classifications, ce qui accentue le décalage entre la création du diplôme et sa reconnaissance. Le recoupement allemand de l’instance créatrice du diplôme et de celle qui la reconnaît sur le marché du travail conduit néanmoins à un difficile ajustement des contenus de formation aux demandes des entreprises : le contenu des formations est renouvelé par des commissions subordonnées à l’accord des partenaires sociaux sur l’opportunité du renouvellement des formations. La volonté de parvenir à un compromis freine le rythme du renouvellement à un point tel que les autorités fédérales ont recommandé un délai maximum de deux ans pour effectuer une telle procédure. A l’inverse, avec un souci d’ajustement aux demandes de qualification, le système de certification français se renouvelle beaucoup plus fréquemment, ce qui génère une multiplication des titres au risque de les dévaloriser.

Les défis liés à la certification

Malgré les divergences de définition des formations qualifiantes, le défi commun des deux pays demeure l’accès des individus aux formations délivrant un diplôme. L’étude de l’OCDE « Learning for Jobs » de 2010 montrait que le taux d’accès à une formation diplômante des 30-39 ans était le même des deux côté du Rhin, soit 2,5% de la classe d’âge en 2005, contre une moyenne de 5,7% au sein de l’Union Européenne. Certification et formation demeurent également un enjeu sur le plan de la participation : dans les deux pays, le diplôme est déterminant dans l’accès à la formation. Une étude récente du Céreq montre qu’en France les salariés diplômés d’un niveau supérieur à bac+3 se forment en moyenne 26 heures dans l’année contre 9 seulement pour les salariés non-diplômés.


Audrey Rain