Pour IndustriAll, « le développement soutenable est un concept radical »

Le développement soutenable, nouvelle frontière de la politique industrielle ?

IndustriAll est la plus grosse fédération syndicale internationale ; elle représente 50 millions de travailleurs de la chimie, de la métallurgie et du textile dans 140 pays dont la France. Depuis de nombreuses années, Brian Kohler – responsable santé-sécurité-développement soutenable pour IndustriAll- suit les négociations climatiques. Le lien entre développement soutenable et santé/sécurité n’est anodin ni dans des secteurs ni dans les pays représentés par cette fédération syndicale internationale. En effet, un des faits marquants de cette vingtième conférence sur le changement climatique est la place occupée par la santé dans les débats. La Chine, par exemple, est entrée dans l’ère de la lutte contre le changement climatique pour répondre aux attentes de la société chinoise par rapport à la pollution de l’air et à ses conséquences en terme de santé publique. Au « cumbre de los pueblos », un village provisoire destiné à permettre les échanges au sein de la société civile en parallèle à la Conférence des Parties sur le changement climatique, il est frappant d’entendre à quel point la santé publique est un enjeu dans les pays d’Amérique latine. De nombreux représentants dénoncent la pollution de l’air, de l’eau et le manque de réaction des pouvoirs publics en la matière.

IndustriAll embrasse le développement soutenable comme une prolongation de sa lutte pour un meilleur respect de la santé et de la sécurité des travailleurs. Pour cette fédération syndicale, le développement soutenable doit se combiner avec les politiques économiques et industrielles qui sont des champs d’action traditionnels pour les organisations syndicales. Le développement soutenable renvoie à la question de l’équité, de la santé publique et du long terme ; il implique de repenser les modèles de production et de consommation. Ce sont ces éléments qui en font, aux yeux d’IndustriAll, un concept radical pour ré-interroger les politiques industrielles.

IndustriAll attire l’attention sur le fait qu’il est préférable de parler d’ « emplois plus verts » que d’ « emplois verts ». En effet, la fédération syndicale internationale représente tous les travailleurs et pas seulement ceux des secteurs économiques les plus « propres ». En matière de changement climatique, de développement soutenable, l’enjeu est de considérer tous les travailleurs et de voir de quelle manière il est possible d’améliorer à la fois les conditions de travail, la santé et la sécurité et les conditions environnementales de la production. Pour Brian Kohler, le représentant de la fédération syndicale internationale, les « emplois verts » n’existent pas car toutes les activités de production ont une empreinte écologique. Le terme « emplois verts » renvoie à un absolu qui ne peut pas exister.

En outre, il rappelle qu’il existe des technologies prometteuses du point de vue environnemental mais elles en sont seulement au stade du développement. Or l’urgence climatique, écologique requiert des actions immédiates. Il convient donc de travailler en parallèle sur les technologies du futur et sur la manière de « verdir » dès à présent les techniques utilisées : il est possible, par exemple, de maintenir ouvertes des usines pharmaceutiques tout en supprimant les contaminations qui découlent de la production chimique.

La société soutenable, un nouveau modèle de société

Pour IndustriAll, la crise climatique est du point de vue politique une crise sociale car ce sont les populations qui paient pour l’inaction des gouvernements. La société soutenable à laquelle aspirent les syndicalistes représentés dans cette fédération repose sur quatre éléments : l’affirmation de l’égalité entre les individus, les technologies au bénéfice de tous, le soutien à toutes les conventions de l’Organisation internationale du travail et la construction d’une alternative au marché qui soit socialement acceptable. De ce point de vue, la « transition juste » qui est le concept porté par la Confédération syndicale internationale et la délégation syndicale auprès de la Conférence des Parties sur le changement climatique ne concerne pas seulement la création d’emplois verts ou plus verts mais englobe toutes les considérations sociales liées à la justice climatique.

Le développement soutenable pose la question du modèle de société dans lequel nous souhaitons vivre. Pour IndustriAll, il s’agit de penser un nouveau modèle de mondialisation et de soutenir les pouvoirs publics en faveur de politiques qui respectent la justice sociale et les démocraties. Il existe des moyens de financement de la transition juste et du travail décent : le fonds vert pour le climat, les financements pour l’adaptation, la taxe sur les transactions financières… Brian Kohler rappelle que ces budgets sont infimes à côté des montants de l’évasion fiscale, du budget militaire de certains pays… Il convient de sortir de ce qu’il appelle l’ « économie casino ».

Pour Brian Kohler, il faut créer une alternative au système capitaliste. Le compromis trouvé entre les organisations syndicales et les directions d’entreprise ne fonctionne plus. Autrefois, les entreprises créaient des emplois ; aujourd’hui ce n’est plus le cas et le compromis s’en trouve changé. Il revient donc aux pouvoirs publics de proposer un autre modèle. Certains syndicalistes du secteur de l’énergie travaillent actuellement sur l’idée qu’il faudrait une démocratie énergétique, que l’énergie redevienne un bien public. Ce serait selon eux un moyen de réinterroger la politique industrielle énergétique et de mettre les pouvoirs publics en face de leur responsabilité de penser le modèle de société. IndustriAll encourage ses affiliés à s’intéresser aux politiques publiques qui sont les seules à même de donner des orientations sociales et environnementales aux stratégies des entreprises. Il ne faut pas attendre que les entreprises décident d’elles même d’être plus vertueuses car ce n’est pas leur finalité. Les syndicalistes sur les sites de production comme ceux qui opèrent dans la fédération syndicale internationale sont là pour rappeler qu’au nom de la lutte contre la catastrophe climatique, les gouvernements et les entreprises ne doivent pas saccager les droits sociaux.

Le représentant d’IndustriAll rappelle également que le rôle de la fédération syndicale internationale est de stimuler le débat auprès de ses affiliés car ce sont les syndicalistes sur le terrain qui peuvent faire changer les choses en articulant les enjeux locaux et les enjeux globaux. IndustriAll encourage la signature d’accords-cadres internationaux sur la responsabilité sociale des entreprises. Grâce à ces accords, la fédération syndicale internationale rencontre régulièrement les présidents directeurs généraux des plus grands groupes mondiaux de son secteur et constate que bien souvent ils ignorent ce qui se passe dans la chaîne de production que ce soit du point de vue social ou environnemental.  

Brian Kohler conclut son propos en réaffirmant l’idée selon laquelle le développement soutenable est un but, les politiques industrielles des moyens pour y parvenir et la « transition juste » une trajectoire.


Natacha Seguin