Négociation Unédic : réformer l’assurance chômage pour réduire la précarité de l’emploi

Une situation financière dégradée qui appelle des inflexions

La dette cumulée du régime d’assurance chômage devrait atteindre 35 milliards d’euros fin 2018 selon l’Unédic, qui prévoit néanmoins une réduction de son déficit annuel en 2016. Cette situation a récemment fait l’objet de recommandations de la part de la Cour des Comptes, laquelle juge, dans un avis rendu public mercredi 2 mars 2016, qu’un « tel niveau d’endettement est problématique : non seulement, son coût pourrait augmenter fortement à l’avenir, en cas de hausse des taux d’intérêt, mais, compte tenu du nombre actuel de chômeurs, il n’est pas possible, à conditions inchangées de gestion du régime, d’attendre de la seule reprise de la croissance économique la résorption de la dette de l’Unédic ». Cette situation financière est d’autant plus préoccupante – et paradoxale – que près de 50% des demandeurs d’emploi ne sont pas éligibles à l’indemnisation chômage. Pour y remédier, un certain nombre de propositions ont été formulées dans son avis par la Cour des Comptes, lesquelles consistent à modifier les principaux paramètres financiers du système, tant du côté des entreprises que des chômeurs. Sont notamment évoqués le déplafonnement de l’assiette de cotisation, la révision des taux de contributions, l’extension du système de modulation des contributions sur les contrats courts, ou encore la remise en cause du principe « un jour cotisé = un jour indemnisé ».

Des règles qui favorisent la précarité de l’emploi

Rééquilibrer les comptes de l’Unédic est un objectif important, mais qui ne doit pas occulter le fait que les règles de l’assurance chômage ont aussi un impact direct sur les comportements d’embauche des entreprises et de recherche d’emploi des chômeurs, et partant, sur le niveau du chômage. Ces règles expliquent en partie le fait que les CDD se sont accrus et ont vu leur durée moyenne se réduire au cours des dernières décennies. La durée moyenne des CDD a été divisée par trois depuis 1980, et s’élève maintenant à environ cinq semaines. Ainsi, les salariés sur des emplois courts connaissent souvent une alternance de brèves périodes d’emploi et de chômage. Or les contrats courts sont fréquemment des réembauches dans la même entreprise (ceci concernait plus de 70% des embauches en CDD en 2011). Certes, ce phénomène résulte aussi de facteurs qui ne sont pas en lien direct avec l’assurance chômage, tels que le développement des CDD d’usage, limités à certains secteurs mais renouvelables indéfiniment.

Pour autant, les règles de l’assurance chômage favorisent le développement des emplois instables à double titre. D’une part, elles peuvent rendre possible le cumul de l’allocation chômage et du salaire sans limite de durée dans le cadre de l’activité réduite, comme le montre un rapport récent du Conseil d’Analyse Economique (CAE). En théorie, l’activité réduite est susceptible d’avoir deux effets de sens opposés sur le retour à l’emploi durable. Elle peut entraîner un phénomène d’enfermement, et inscrire certains demandeurs d’emplois dans la récurrence au chômage pendant une longue période. Mais elle peut à l’inverse avoir un effet de tremplin, en favorisant la rencontre avec de nouveaux employeurs auprès desquels les contrats courts seront finalement convertis en CDI. L’ampleur respective de ces deux effets est mal connue empiriquement. Toutefois, dans le cas français, l’analyse par le CAE des règles en vigueur dans le cadre de l’activité réduite suggère que celles-ci incitent à multiplier les emplois courts à temps plein afin de rétablir les droits à l’assurance.

L’autre facteur de précarité tient au fait que les entreprises n’ont pas d’incitations à limiter l’utilisation des contrats courts, sous la forme de CDD ou de contrats intérimaires. De fait, l’assurance chômage est caractérisée par d’importants transferts entre le régime général d’une part, et les régimes relevant des annexes 4 (emplois intérimaires et contrats intermittents), 8 et 10 (intermittents du spectacle) d’autre part. Les chiffres présentés par l’Unédic montrent ainsi que le régime général est structurellement excédentaire, tandis que les régimes des annexes sont structurellement déficitaires. En 2012, les CDD hors annexes 8 et 10 présentaient un solde déficitaire de 5,4 milliards d’euros, et les intérimaires de 1,9 milliard d’euros, alors que le solde cotisations-allocations des CDI dans le cadre du régime général affichait un excédent de 11 milliards d’euros. Une partie de ces différences provient de la plus grande instabilité des emplois relevant des annexes. Une autre partie provient des différences entre les règles d’indemnisation, plus favorables dans les annexes (absence de plafond d’heures, de rémunération et de durée maximale pour l’activité réduite, notamment). Ces différences ont tendance à subventionner les emplois instables, qu’elles contribuent à développer.

Les effets incertains de la dégressivité de l’indemnisation et de la taxation des contrats courts

Certains observateurs considèrent que le déficit s’explique principalement par les transferts auxquels l’assurance chômage est contrainte pour financer les régimes déficitaires, mais aussi le service public de l’emploi, dont l’Unédic est la première source de financement. Il suffirait à ce titre de financer certains régimes ou institutions par la puissance publique (les intermittents du spectacle au titre de la politique culturelle, Pôle Emploi au titre de la politique de l’emploi notamment). Les constats précédents suggèrent que ces propositions ne sont pas à la hauteur des enjeux. Outre un contrôle plus étroit des abus, la négociation gagnerait, de façon plus large, à faire évoluer les règles de l’assurance chômage en tenant compte de leur impact sur les comportements des agents. A ce titre, sont examinées ici deux propositions qui sont actuellement en débat : un retour de la dégressivité des allocations dans le temps, et une taxation accrue des contrats courts.

La dégressivité a été expérimentée en France entre 1992 et 2001. Il apparaît qu’elle n’est pas nécessairement l’outil le plus efficace pour inciter les chômeurs à chercher et accepter un emploi. Elle peut être justifiée dans une certaine mesure dans le cas d’individus ayant les moyens de décider eux-mêmes de leur reprise d’emploi, mais elle serait de peu d’effet pour les personnes les moins autonomes ou disposant de moins de ressources dans leur recherche d’emploi. En établissant une relation de causalité entre paramètres de l’indemnisation et retour à l’emploi, des évaluations empiriques confirment ce dualisme entre les chômeurs qualifiés et les autres. Elles montrent que la dégressivité a en moyenne un effet limité, voire négatif, sur le retour à l’emploi. De ce point de vue, il serait préférable d’accroître le contrôle de la recherche d’emploi pour les chômeurs les plus proches de l’emploi, tout en laissant une plus large autonomie aux agents de Pôle Emploi dans la détermination des sanctions applicables (en préservant évidemment des possibilités d’appel pour les chômeurs). Il conviendrait également de revoir les paramètres de l’activité réduite, afin de rendre le cumul salaire-allocation chômage plus rémunérateur, dès lors qu’il est pratiqué sans interruption.

Concernant la taxation des contrats courts, celle-ci a été accrue en 2014, notamment pour les CDD de moins d’un mois, sans que ceci ait freiné la progression de ce type de contrats en proportion des embauches. De surcroît, certaines activités, telles que l’intérim, ont été exemptées de cette taxation supplémentaire, sans raison valable, alors qu’elles génèrent un coût substantiel pour l’assurance chômage. Plutôt qu’une telle taxation, il conviendrait de mettre en place un véritable système de bonus-malus fondé sur le solde de chaque entreprise à l’assurance chômage, c’est-à-dire sur la différence entre les cotisations versées et l’indemnisation générées du fait des séparations, quelle qu’en soit l’origine (licenciement, fin de contrats court, rupture conventionnelle, etc.). Un tel système permettrait d’éviter les phénomènes de vases communicants entre les différents modes de séparation, et inciterait les entreprises à se préoccuper de l’employabilité de leurs salariés afin de limiter la durée passée au chômage par ceux-ci.

Au-delà de ces modifications techniques, une réforme ambitieuse consisterait à articuler plus étroitement les actions de contrôle et d’accompagnement avec l’assurance chômage, en ciblant le contrôle sur les individus les plus autonomes dans leur recherche d’emploi, au moyen par exemple du système de profilage mis en œuvre par Pôle emploi. Par souci d’équilibre, le contrôle des employeurs en matière de fraude aux prestations sociales gagnerait aussi à être renforcé, alors que l’ampleur de ce phénomène est régulièrement dénoncée par la Cour des Comptes. Plus largement encore, il serait nécessaire de coordonner les paramètres de l’assurance chômage avec les autres politiques d’emploi, et en particulier les multiples mécanismes de subventions à l’embauche et d’allègements de charges sociales existants. Ceci suppose toutefois une réflexion sur les gouvernances respectives de Pôle Emploi et de l’Unédic, afin de mieux coordonner les actions de ces institutions.

Est-il raisonnable d’espérer que la négociation accouche d’une réforme d’ampleur de l’assurance chômage qui mette en œuvre les principes précédents ? Le contexte et le contenu des précédentes conventions ne prêtent guère à l’optimisme. Les crispations actuellement manifestées par les partenaires sociaux autour de la loi travail risquent également de peser sur la négociation Unédic.


Marc Ferracci