Flexisécurité : les enseignements de la nouvelle recette danoise

Le contenu de l’accord

L’accord conclu le 12 février par l’organisation patronale Dansk Industri (ou DI) et Co-industri (cartel de 9 syndicats dont 3F, Dansk Metall ou HK/Privat) a été qualifié « d’historique » par le président de Co-industri Claus Jensen, en particulier au regard des moyens prévus pour assurer une meilleure formation continue des salariés. Celle-ci doit permettre une élévation des compétences dans un contexte de développement technologique des lieux de travail. Il s’agit également d’un accord qui marque une rupture avec la période de crise puisqu’il prévoit des avancées pour l’ensemble des catégories de salariés, des seniors aux parents de jeunes enfants en passant par les travailleurs temporaires.

L’avancée principale de cet accord conclu pour 3 ans au bénéfice d’environ 6 000 entreprises et 230 000 travailleurs, concerne la formation des salariés. En effet, il prévoit une enveloppe de 200 millions de couronnes danoises (26,9 millions d’euros) engagées principalement dans le Fonds d’Amélioration des Compétences Industrielles (IKUF) afin de permettre aux salariés non qualifiés de monter en compétences pour pouvoir postuler à des postes qualifiés, d’aider les employés plus qualifiés à se reconvertir si nécessaire, et d’accompagner ceux qui ont des difficultés en lecture et en écriture. Les formations visées seront principalement universitaires et diplômantes, ainsi qu’à destination des salariés dyslexiques.

L’accord prévoit également des mesures spécifiques pour certaines catégories de travailleurs. Les salariés qui sont à 5 ans de leur départ à la retraite pourront acheter des jours de retraite à hauteur de 32 jours par an. Pour les parents de jeunes enfants, le maintien du salaire est prévu pour le congé parental afin d’encourager les pères à le prendre. Ils bénéficieront des mêmes avantages en cas d’hospitalisation de leur enfant à la maison que lorsque l’enfant est à l’hôpital.

Pour les travailleurs temporaires, le cumul des années d’ancienneté sera pris en compte afin qu’ils puissent bénéficier de conditions de départ à la retraite équivalentes aux salariés permanents. Les représentants du personnel auront plus de facilités pour obtenir des éclaircissements sur les contrats de travail temporaires et le travail en entreprise.

A cela s’ajoutent des augmentations de salaire. Les augmentations générales seront de 1,6% au 1er mars de chaque année durant la durée d’application de l’accord. Le salaire minimal horaire augmentera de 2 couronnes (0,27 euro) par an, passant de 115,65 couronnes (15,55 euros) au 1er mars 2017, à 117,65 couronnes (15,82 euros) au 1er mars 2018, puis 119,64 couronnes (16,08) au 1er mars 2019.

Les indemnités des apprentis et des stagiaires augmenteront de 1,7% par an pendant toute la durée d’application de l’accord.

Les indemnités de rémunération des représentants du personnel seront sensiblement augmentées. L’accord prévoit également que les représentants syndicaux bénéficieront d’une mise à niveau leur permettant de retrouver plus facilement un poste à la fin de leur mandat.

Les entreprises ont obtenu en contrepartie plus de flexibilité dans l’utilisation des heures supplémentaires : dans les entreprises dont le niveau de production est fluctuant, en cas d’absence d’accord local, elles pourront exiger des heures supplémentaires dans la limite d’une heure par jour et 5 heures par semaine. La durée hebdomadaire du travail pourra donc fluctuer entre 32 et 42 heures par semaine. L’accord ajoute aussi de la flexibilité dans l’entreprise : un accord individuel ou collectif pourra également modifier ou remplacer le système salarial (ex : système de bonus).

Que penser de cet accord Tout d’abord, la première caractéristique de cet accord est qu’il s’agit d’un accord très global :

 • intégrant les questions salariales et la souplesse d’organisation des entreprises ;

 • mobilisant le levier de la formation ;

 • traitant des situations spécifiques : salariés âgés ; stagiaires et apprentis ; salaire minimal ; salariés temporaires ;

• intégrant les enjeux sociétaux : parentalité ; illettrisme ; temps choisi ; gestion du vieillissement ;

• accroissant les moyens syndicaux : information ; garantie salariale ; reclassement post mandat.

La seconde caractéristique de cet accord est sa bonne insertion dans la problématique économique du pays, sur la base d’un diagnostic partagé.

Pour les entreprises danoises, la situation actuelle est critique dans la mesure où le chômage est au plus bas, les recrutements difficiles et les salariés qualifiés très mobiles. Cet accord permettra de former et d’attirer de nouveaux salariés pour les postes qualifiés non pourvus.

La possibilité de moduler à la hausse le temps de travail entre bien dans une logique de conquête commerciale. Sollicitant la baisse des coûts marginaux, elle dispense avantageusement de mesures générales de baisse du coût moyen du travail.

Des mesures de flexibilité (assouplissement du chômage partiel) et de réduction de la sécurité (réforme des minima sociaux, réforme de l’indemnisation du chômage, relèvement de l’âge de la retraite à 67 ans puis 68 ans en 2030) avaient été prises à la suite de la crise de 2008. Cet accord cherche à en corriger certaines conséquences négatives (par exemple, avec le relèvement de l’âge de la retraite à 68 ans en 2030, 25% des danois devraient alors partir en retraite anticipée pour des raisons de santé).

Quel enseignement en tirer pour la situation française ?

En première analyse, un tel accord semble improbable en France. Mais pourquoi donc ?

Il nous semble tout d’abord que les priorités du patronat danois ont été clairement énoncées : priorité à la souplesse d’organisation des entreprises, par la modulation de la semaine de travail : jusqu’à 32 heures à la baisse et 42 heures à la hausse, autour de la norme de 37 heures. En contrepartie, acceptation d’une hausse maîtrisée et pluriannuelle du coût du travail.

Cette première condition pourrait-elle être réunie en France ? Rien n’est moins sûr.

Les demandes patronales, en France, agrègent volonté de souplesse d’organisation des entreprises ; remontée globale du temps de travail ; baisse ou stagnation du coût du travail ; maintien d’une souplesse extrême sur le travail temporaire sous toutes ses formes (intérim ; cdd ; contrats courts) ; facilitation des ruptures des CDI ; et relèvement de l’âge de départ à la retraite (au détriment des travailleurs les moins qualifiés, entrés tôt dans la vie active).

On peut se demander s’il est-bien raisonnable d’avancer un tel catalogue de revendications, sans la moindre hiérarchie de priorités ? De même on peine à y trouver une contrepartie possible (le chantage à l’emploi ne relevant pas de cette catégorie)…

La seconde condition renvoie à l’insertion de cet accord dans le contexte macroéconomique du Danemark : faible taux de chômage, pénuries relatives de main d‘œuvre. Ce même critère de bonne insertion macroéconomique s’applique-t-il aux exigences patronales françaises ?

A l’évidence, remonter le temps de travail et relever l’âge de départ en retraite, en situation de chômage massif, relève du paradoxe (a fortiori lorsqu’une réticence s’exprime sur les modalités de reconnaissance de la pénibilité). Se priver de l’intégration des jeunes générations, mieux formées et apporteuses de modernité dans l’entreprise, pour y maintenir en place des salariés âgés, est difficilement justifiable socialement et économiquement.

De même assouplir le travail stable (CDI) par la modulation du temps de travail comme par la facilitation des ruptures de contrats, entre en contradiction avec la volonté de maintenir parallèlement une liberté quasi totale en matière de travail temporaire. Enfin, abaisser simultanément le coût du travail et l’ensemble des protections qui y sont attachées porte en germe une paupérisation de la population active, peu propice à la sécurisation de ses parcours professionnels. Il n’est pas sûr enfin que cela soit approprié à une économie en recherche élévation générale du niveau de compétences.

Pour finir, on ne sent pas chez le patronat français d’attachement au levier de la formation. Cet accord, rappelons-le, pose plus qu’une intention : il énonce des axes, et des moyens chiffrés. On ne sent pas non plus en France de volonté d’encourager la participation syndicale, par le financement ou la facilitation des carrières syndicales par exemple.

Un encouragement à refonder le dialogue social ?

Il n’y a pas de fatalité culturelle à l’incapacité à négocier. La France doit savoir se comparer, faire le diagnostic de ses manques éventuels (comme de ses avances relatives), et intégrer les enseignements des meilleures pratiques étrangères, dans son propre cocktail créatif.

Dans le monde compétitif moderne, les accords devraient être globaux, équilibrés, bien insérés dans l’environnement économique. Ils créeraient une dynamique plus qu’ils n’exprimeraient un rapport de forces (ou la victoire d’une crispation ou d’une obsession sur une autre). Et ils privilégieraient la souplesse d’organisation des entreprises et le bien-être des salariés, à toute autre considération idéologique.

On soulignera la capacité qu’a eue le Danemark de signer des accords d’adaptation à la crise (que l’on pourrait juger défavorables en certains points aux salariés) ; puis de les corriger dès que l’horizon social et économique l’a justifié.


Alain Petitijean