Relations donneurs d’ordre/sous-traitants : quand les entreprises seront-elles vigilantes ?

Une loi pour limiter l’externalisation des risques sociaux

« Je crois qu’il est inacceptable aujourd’hui de regarder une mondialisation décomplexée se développer à grande vitesse sans répondre efficacement aux effets néfastes qu’elle peut engendrer. J’ai la conviction […] que la mondialisation doit s’accompagner d’une régulation stricte et d’une responsabilisation de l’ensemble des acteurs », déclarait Michel Sapin, Ministre de L’Economie et des Finances, le 21 février 2017 lors de la session de l’Assemblée nationale au cours de laquelle la Loi relative au devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre fut adoptée. Par cette loi, le législateur entendait limiter l’externalisation des risques dans les chaînes de production de biens et services en rendant responsables les sociétés-mères et les entreprises donneuses d’ordre de ne pas avoir mis en place des moyens suivants pour prévenir les atteintes aux droits de l’Homme, à la santé et la sécurité, à l’environnement et aux libertés fondamentales. Les premiers plans ont été publiés en 2018. Une première analyse, menée sur un échantillon de 50 d’entre eux, a été publiée dans la Lettre du CEP n°34.

« Plan de vigilance » dans la loi n’est pas un terme générique

La majorité des entreprises assujetties à la loi a publié un « plan de vigilance » conformité qui mérite d’être souligné. Cependant, les entreprises dans leur majorité  ont fait comme si « plan de vigilance » était un terme générique dont elles pouvaient à leur guise déterminer le contenu. La loi précise pourtant les éléments constitutifs du plan de vigilance et la terminologie usitée par les rédacteurs du texte est précise. Le tableau ci-dessous propose une représentation du contenu et des termes de la loi relatifs au « plan de vigilance ».

Relations donneurs d’ordre/sous-traitants : quand les entreprises seront-elles vigilantes ?

En l’état actuel des publications des entreprises, il est peu probable que le contenu des plans puisse avoir un quelconque effet sur les pratiques des entreprises. En effet, à l’exception de certaines entreprises la majorité des entreprises identifie des risques généraux sans prendre en compte la dimension sectorielle de leur activité, la spécificité des métiers, etc. Il est donc impossible de comprendre comment elles hiérarchisent les risques selon qu’ils sont graves, potentiels ou réversibles. Outre que c’est un gage de pérennité de l’entreprise, c’est une des exigences de l’esprit de la loi puisqu’il s’agit d’agir en prévention de la réalisation des risques pour protéger d’éventuelles victimes.

Une entreprise peut-elle sincèrement identifier les risques qu’elle génère sans dialoguer avec les parties qu’elle impacte ?

Le dialogue avec les parties prenantes est constitutif des démarches de RSE. La loi donne des indications sur ce point : « Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale ». Les entreprises demeurent particulièrement vagues dans les explications qu’elles publient en la matière. Les rencontres que nous avons pu faire avec des représentants des salariés et des organisations syndicales d’entreprises assujetties à la loi conduisent à la même conclusion : ils n’ont pas été associés à ces démarches. Et pourtant, la sous-traitance qui fait l’objet de cette loi est un sujet majeur de préoccupation pour les instances représentatives du personnel. Se priver de leur expérience, de leur regard sur le sujet peut être dommageable pour les parties prenantes, car la crédibilité des plans est un risque juridique et réputationnel pour l’entreprise.

Sur les autres éléments, notre étude pointe également des manquements : les sous-traitants sont rarement cités, les mécanismes d’alerte peu explicités… Comment interpréter ces lacunes ? Certaines entreprises précisent que les plans publiés en 2018 ne sont que des plans transitoires, d’autres ne semblent pas engagées dans une démarche de progrès continu malgré la faiblesse communicationnelle de leur plan.

L’exercice 2019 et les premiers retours sur les dispositifs mis en place devraient nous permettre d’affiner notre analyse sur l’effectivité des plans et les écarts entre les engagements internationaux des entreprises en faveur de plus de RSE et la réalité de leurs pratiques. A moins que d’ici là, le lobbying de certaines entreprises autour du projet de loi PACTE, et leur insistance à substituer la définition optionnelle de leur raison d’être aux lois sur le devoir de vigilance et sur la lutte contre la corruption, n’ait eu raison de ces deux avancées en matière de responsabilisation des entreprises.


Natacha Seguin