Face aux conséquences économiques et sociales du coronavirus, quelles réponses pour quelles mutations ?

Une protection accrue pour les salariés et un maintien des droits pour la plupart des chômeurs

Outre la suspension des réformes en cours (dont la réforme des retraites), une des principales décisions prises à la mi-mars 2020 est la suspension jusqu’au premier septembre des nouvelles règles d’assurance-chômage non encore entrées en vigueur. Dès le 11 mars, au vu des inquiétudes sur l’activité et l’emploi du fait de la rapide propagation du coronavirus, la gauche et les syndicats ont demandé la suspension (ou l’abandon) de la réforme d’assurance chômage, dont certaines nouvelles règles (les règles d’indemnisation) devaient s’appliquer le 1er avril 2020 (consulter ce récent billet de blog du CEP), les premières étant entrées en vigueur le 1er novembre 2019. Des discussions tripartites sur ce sujet se sont déroulées le 13 mars 2020. Le ministère du travail a annoncé la suspension le 16 mars 2020 de l’application des nouvelles règles. Cette suspension est justifiée en raison de l’augmentation du chômage à court-moyen terme liée au ralentissement de l’activité et aux difficultés financières probables de nombre d’entreprises. Par ailleurs, comme l’a souligné une étude de l’Unédic, les publics précaires, en particulier ceux en activité réduite (cumul emploi-chômage) et ceux qui mettent du temps pour acquérir des droits vont être les plus touchés : avec la contraction de l’activité, ces catégories de population risquent de croître ou de voir leur situation (périodes d’emploi plus courtes) se dégrader. En revanche, la dégressivité des allocations chômage pour les salariés ayant perçu un salaire de plus de 4 500 euros bruts par mois n’a pas été suspendue, ce qui entraînera des pertes monétaires pour les individus qui perdraient leur emploi et dont le retour à l’emploi sera inévitablement allongé en raison de la crise sanitaire.

De plus, le ministère du travail a annoncé que l’allocation des chômeurs en fin de droits va être prolongée à la fin du mois de mars. Cela pourrait concerner jusqu’à près de 90 000 personnes.

D’autres mesures  participent des filets de sécurité aux salariés : les salariés en situation de nécessité de garder leur enfant et qui ne peuvent pas télétravailler (cumul des deux situations) peuvent bénéficier d’un arrêt de travail spécifique. Par ailleurs, afin de sauvegarder l’emploi tout en limitant l’impact sur les revenus des salariés dans l’impossibilité de télétravailler et de travailler à leur poste de travail, le recours au chômage technique (« chômage partiel ») sera facilité par les entreprises : l’indemnité de chômage partiel s’élèvera à 70% du salaire brut et 84% du salaire net. La rémunération reçue est au  minimum de 100% du Smic net (un salarié au SMIC recevra ainsi 100% de sa rémunération). D’après Bercy, le chômage partiel concerne déjà 2 millions de personnes. Les personnes employées à domicile (comme les femmes de ménage) se verront bénéficier d’une mesure similaire au chômage partiel et toucheraient alors 80% de leur salaire (remboursé ultérieurement à l’employeur par l’Etat).

Si la ministre du travail a d’abord annoncé le 16 mars 2020 que les licenciements seraient interdits pendant la période de pandémie, Edouard Philippe a expliqué le 17 mars qu’il n’y aurait pas d’interdiction administrative de licenciement (supprimée depuis 1986) mais des mesures de soutien aux entreprises pour « essayer de faire en sorte que l’entreprise puisse continuer son existence » (Le Figaro, 17 mars 2020).

Soutien à l’activité économique et aux entreprises

Tandis que de nombreuses entreprises souffraient depuis plusieurs semaines des premières répercussions de l’épidémie, l’annonce du gouvernement de mesures strictes de confinement et de fermetures des commerces non « utiles » a mis toute l’activité économique au ralenti. Plusieurs mesures de soutien aux entreprises ont alors été successivement annoncées.

L’Etat prendra en charge l’indemnité de chômage partiel à 100% pour tous les salariés jusqu’4,5 Smic (auparavant 1 Smic). Cette prise en charge devrait concerner plusieurs milliers d’entreprises. De plus, le gouvernement a annoncé le report jusqu’à 3 mois du paiement de toutes les charges fiscales et sociales dues par les entreprises. A la fin de la crise, ce report pourra se transformer en annulation de cotisations pour certaines entreprises, la décision se faisant au cas par cas.

Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie a donné aux entreprises la possibilité, sous certaines conditions, de déroger aux règles en vigueur : prise de congés payés et de RTT, durée maximale du travail et temps de repos minimal, formation professionnelle, élections professionnelles, durée des mandats des élus, modalités d’information consultation au CSE, etc.

Pour les indépendants, un fonds de soutien d’un milliard d’euros a été créé. Les microentreprises générant un chiffre d’affaire de moins d’un million d’euros, devant fermer ou ayant enregistré une baisse d’au moins 70% de leur chiffre d’affaires sur un an, devraient recevoir une indemnité forfaitaire de 1 500 euros, dont la fréquence de versement reste à définir. Au total, Bercy estime que 600 000 entreprises seront concernées. Les loyers, les factures d’eau, de gaz et d’électricité pourraient également être suspendus pour les plus petites entreprises (TPE) et les micro-entrepreneurs.

Des mesures de soutien à la trésorerie des entreprises ont également été mises en place. L’Etat offre une garantie à hauteur de 300 milliards d’euros pour les prêts bancaires des entreprises de toutes tailles. La BPI a proposé des mesures de soutien réservées aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) : garantie sur les découverts et les prêts bancaires entre 3 et 7 ans à hauteur de 90%, apport de liquidités via des prêts sans garanties jusqu’à 5 millions d’euros, mobilisation des factures avec ajout d’un crédit de trésorerie de 30%, suspension des échéances dues à la BPI à compter du 16 mars, etc.

Au niveau européen, la BCE a également annoncé qu’elle allait racheter près de 750 milliards d’euros de titres privés et publics pour soulager les banques et les inciter à maintenir, voire relancer leurs prêts aux ménages et entreprises. La Commission européenne a quant à elle assoupli les règles sur les aides d’Etat. Ce dispositif permettra aux gouvernements nationaux d’injecter des fonds publics, sous certaines conditions, dans les entreprises en difficultés, en particulier les PME, et ce sans l’aval de la Commission. L’Union européenne devrait également affecter 37 milliards d’euros à la lutte contre la crise du coronavirus.

En France, le Président de la République a affirmé soutenir les entreprises et les salariés « quoi qu’il en coûte » ; ces différentes mesures représenteraient un coût approximatif de 45 milliards d’euros (selon le projet de loi de finances rectificative pour 2020 examiné au Parlement), qui pourrait varier selon la durée de l’épidémie. L’ampleur véritable du plan reste peut-être à nuancer, la majeure partie du plan représentant des reports de charge. Malgré les mesures de soutien, l’épidémie devrait fortement affecter la croissance française, qui pourrait reculer de 3 points si le confinement dure 1 mois et de 6 points si le confinement dure 2 mois (INSEE). 

En somme, confronté à une crise de nature singulière à caractère transnational, le gouvernement a adopté des mesures inédites. En effet, les réponses à l’épidémie traduisent une intervention étatique massive sans restriction budgétaire (annonces d’éventuelles nationalisations, plan de soutien de 45 milliards d’euros, garanties fortes pour le pouvoir d’achat des individus), notamment via l’affranchissement de la règle budgétaire européenne des « 3% ». Les frontières sont fermées, l’espace Schengen est suspendu. En outre, le projet de loi (dit « d’urgence ») prévoit une mesure spectaculaire : la déclaration d’un « état d’urgence sanitaire » qui restreint certaines libertés (la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre, la liberté de réunion).  

L’efficacité de ces dispositions et l’instauration de nouvelles mesures va dépendre de différents paramètres. D’abord de la longueur de la période la crise sanitaire et de son potentiel effet d’hystérèse, qui dépendront des phases d’extension puis de réduction de la pandémie dans la population. Mais aussi de l’ampleur de la contraction de l’activité européenne et les modalités de coordination des pays membres face à la crise.

Un horizon d’incertitudes, une nécessité ou une fenêtre d’ouverture pour évoluer vers un système plus inclusif et qui répond au besoin de respect de l’environnement ?

Cette période d’incertitudes est susceptible de remettre en cause de manière profonde et durable de nombreuses conceptions politiques ou économiques. Historiquement, de nombreuses crises et épidémies ont conduit à des changements radicaux de paradigmes (voir par exemple le point de vue d’Olivier Passet). Le choc planétaire du coronavirus pourrait initier ou accélérer des transformations nécessaires.

Cette épidémie a mis en exergue l’importance primordiale du système de santé et plus généralement des services publics. Notons d’ailleurs que certaines recherches soulignent comment il est possible d’évaluer les évolutions d’une société et les choix politiques privilégiés à travers le prisme de la santé (voir sur ce point cet article de la revue de l’IRES). On pourrait alors imaginer un tournant dans la politique menée jusqu’à présent : des investissements plus importants dans le système de santé public visant une meilleure qualité de soin et une augmentation des moyens matériels et humains (par un financement accru), ou encore un plan massif de modernisation des infrastructures et du système de veille sanitaire. L’éducation, perturbée dans son fonctionnement classique en « présentiel », et la recherche scientifique pourraient également surgir au premier plan des préoccupations nationales. Les nationalisations (ou prise de participation/recapitalisation) pourraient se développer afin de sauver certaines sociétés (grandes entreprises) jugées stratégiques en termes d’activité ou d’emplois.

La réduction des émissions de gaz à effet de serre est l’un des effets positifs collatéraux de l’épidémie de coronavirus. Et la crise a montré que le gouvernement pouvait mobiliser des moyens importants pour contrer l’épidémie, sans restriction budgétaire. Or, comme pour l’épidémie, le changement climatique nécessite la mise en place urgente de mesures drastiques. L’Etat pourrait décider d’investir massivement dans la transition écologique pour permettre la mise en place d’une économie « verte » au bénéfice de l’intérêt commun.

Par ailleurs, la pénurie de médicaments des dernières années a amené les institutions européennes, ces dernières semaines, à réfléchir à une relocalisation de certaines chaînes de production pour assurer une sécurité sanitaire sur le continent. Cette initiative pourrait éventuellement enclencher un mouvement plus important de relocalisation d’une partie de la production, les chaînes mondiales de valeur ayant révélé leur fragilité.

Plusieurs interdictions temporaires ont été annoncées sur les marchés financiers, notamment l’interdiction de la vente à découvert qui permet de parier sur la baisse des cours et des positions courtes nettes. Cette crise révèle également les travers des marchés financiers, en grande partie surendettés et déconnectés de l’économie réelle, ainsi que leurs possibles effets néfastes sur la sphère productive. On pourrait alors imaginer une restriction plus durable de certains produits financiers et de certaines pratiques sur les marchés pour garantir solvabilité et résilience en cas de crise.

Enfin, en Europe, où l’épidémie de coronavirus pourrait amputer la croissance de 2% à 2,5% (menant à une récession), les pays membres sont momentanément autorisés à s’affranchir des règles budgétaires du pacte de stabilité européen. De plus, les questions d’un plan de relance européen et d’une mutualisation des dettes souveraines sont étudiées. Cette épidémie pourrait alors être l’occasion de remettre en cause les règles budgétaires européennes, d’améliorer la coopération financière des états membres et de réorienter la politique économique européenne. Un collectif d’économistes a ainsi récemment réclamé un programme d’urgence pour l’Europe qui permettrait de renforcer la confiance et de faire preuve d’unité, de résilience, de cohérence et de solidarité.

En conclusion, les premières réponses apportées par le gouvernement à l’épidémie apparaissent fortes. Mais l’effet des mesures annoncées reste pour partie contingent au volume des ressources réelles affectées (et pas seulement des reports de charge), à la durée de la pandémie, et à l’effet sur le moral des ménages et sur la confiance des chefs d’entreprise. Par ailleurs, si les réponses déjà annoncées et celles qui seront décidées à la fois au niveau national et européen (voire international) sont mises en places dans un contexte d’urgence, elles sont toutefois susceptibles de déclencher une évolution choisie vers un système économique et social plus inclusif : renforcement de l’Etat-providence, primauté à l’écologie, contrôle de la finance, enclenchement d’un processus de relocalisations, remise en question de l’orthodoxie budgétaire, approfondissement de la coopération européenne. Mais il faut rappeler qu’après la crise de 2008, les Etats n’ont pas réagi de cette manière. Nos hypothèses se basent donc sur une rupture avec les idéologies dominantes. De ce point de vue, au vu des enjeux sociaux substantiels qui pointeront lors des prochaines années, la place des partenaires sociaux (souvent mis à l’écart les dernières années) est sans doute essentielle, afin de permettre une pleine participation de la démocratie sociale aux évolutions nécessaires et souhaitées de notre société et faire entendre la voix des salariés, pour négocier et co-construire des solutions face aux enjeux sus-mentionnés.

Nicolas Fleury, Alice Rustique