Coronavirus : quels effets sur le chômage ?

Une explosion du chômage dans le monde

Pour stopper l’épidémie et limiter le nombre de morts, les Etats ont été nombreux à mettre en place des mesures de confinement et de limitation des déplacements. Mais ces mesures provoquent via différents canaux d’importantes conséquences économiques et sociales, en particulier en termes de chômage partiel et/ou de chômage (cf. OFCE, mars 2020 pour le cas de la France).

L’organisation internationale du travail (OIT) a présenté à la mi-mars une première estimation de 5 à 25 millions de chômeurs supplémentaires à travers le monde en conséquence de la pandémie et des mesures associées. Selon son analyse du 7 avril 2020, l’organisation prévoit pour le 2e semestre 2020 une réduction des heures de travail de 6,7% dans le monde et 6% en Europe, ce qui correspondrait à une perte de 230 millions ETP (équivalent temps plein – base 40 h par semaine). Elle ajoute que 38% des travailleurs exercent dans des secteurs menacés à fort risque de chômage : arts et divertissement ; transport, stockage et communication ; hôtellerie-restauration ; industrie ; commerce de détail et de gros ; immobilier, activités commerciales et administratives.

Plusieurs pays, comme les USA, le Canada, la Norvège ou encore l’Inde ont vu leur taux de chômage exploser.  Aux USA, où licencier les salariés coûte moins cher aux entreprises que le chômage partiel, le pourcentage de salariés concernés par ce type de dispositif est resté négligeable. Selon le US Bureau of Labor Statistics (et d’après le Household Survey Data), le nombre de chômeurs progresse de 5,78 millions (février 2020) à 7,14 millions (mars 2020), tandis le nombre de personnes écartées provisoirement de leur entreprise s’établit à 1,8 million. Par ailleurs, si le taux de chômage s’est accru de 0,9 point en mars (de 3,5% à 4,4%), certaines estimations comme celle du US Congressional Budget Office estiment qu’il devrait dépasser les 10% au deuxième trimestre 2020 (la Fed l’estime entre 10,5 et 40,6%).

En Norvège, où les mesures de chômage partiel sont très limitées, le taux de chômage a explosé en passant de 3,8% à 10,4%, au plus haut depuis la 2nde guerre mondiale. Plus de 90% des nouveaux demandeurs d’emploi ont déclaré des licenciements pour motif d’enregistrement. Au Canada, 1 million de travailleurs ont déjà perdu leur emploi, et plus de 5 millions ont fait une demande d’allocation chômage. Le taux de chômage s’élève à 7,8% en mars, contre 5,6% en février. Selon le gouvernement canadien, il pourrait aller jusqu’à 25%. En Inde, le taux de chômage a explosé en passant de 8,5% en février à 23,8 % début avril. En Russie, celui-ci pourrait dépasser les 10% au dernier trimestre. Enfin, au Royaume-Uni, selon une première estimation le taux augmenterait de près de 1,5 point.

Coronavirus : quels effets sur le chômage ?

Un recours massif au chômage partiel en Europe

En Europe, la composante « emploi » de l’indicateur PMI en Europe a accusé sa plus forte baisse depuis juin 2009, reflétant l’effondrement de l’activité. Afin de limiter les destructions d’emploi et la hausse massive du chômage, la plupart des pays européens ont fait le choix du recours massif au chômage partiel via un assouplissement et un renforcement du dispositif. Ce système maintient les contrats de travail afin d’éviter les destructions d’emplois. Le salarié perçoit un dédommagement généralement égal à une fraction de son salaire de référence, financé en tout ou partie par les pouvoir publics. En France, l’Etat s’est engagé à porter l’indemnité de chômage partiel à 100% pour tous les salariés jusqu’4,5 Smic. Mi-avril, 8,7 millions de salariés (plus d’un quart des salariés) et 732 000 entreprises sont concernés par ces mesures. En Allemagne, pays habitué au recours au chômage partiel, plus de 2 millions de salariés sont déjà concernés par le système. En Suisse, une personne sur 4 se trouve au chômage partiel. Les niveaux d’indemnisation du chômage partiel restent très diversifiés selon les pays européens, la France restant dans la fourchette haute (cf. encadré 1 ci-après) avec un niveau d’indemnisation correspondant à 84% du salaire net (l’employeur pouvant financer le manque à gagner).

Coronavirus : quels effets sur le chômage ?

Dans l’Union européenne, où les pays ont eu davantage recours au chômage partiel que dans les autres pays, les chiffres du chômage à fin avril pourraient afficher une hausse plus limitée (les personnes en chômage partiel n’étant pas comptabilisées comme demandeurs d’emploi). Pour la suite, tout dépendra de l’efficacité des mesures de chômage partiel en rapport à la baisse effective de l’activité.

La mise en place du chômage partiel poursuit un triple objectif. D’abord, la socialisation des salaires, même partielle (au moins 84% du salaire net en France), permet de soutenir le pouvoir d’achat des salariés (à un niveau supérieur à celui de l’allocation chômage) et de réduire leur incertitude. Ce maintien soutient l’activité en berne et participera à son redémarrage à la sortie du confinement. Surtout, il permet d’éviter les destructions d’emplois en maintenant les contrats de travail et en facilitant le retour rapide de la main d’œuvre en sortie de crise. Enfin, ce dispositif allège les charges salariales des entreprises.

En cela, le chômage partiel peut être un outil efficace pour de limiter fortement la hausse du chômage. En Allemagne, ce dispositif avait déjà montré son intérêt lors de la crise de 2008 : tandis que la France a connu une forte hausse du chômage au prix d’une réduction relativement modeste du PIB en 2009, l’Allemagne a réussi à éviter les destructions d’emplois alors que son PIB a chuté de 6 points. Boulin et Cette (2013) expliquent cette différence « à 30% par des dispositifs de chômage partiel (…) subventionnés par l’État, à 30% par la contraction des heures supplémentaires et la mobilisation des comptes épargne temps (Arbeitszeitkonto) et à 40% par la mise en œuvre d’accords collectifs (…) réduisant la durée du travail et les salaires contre des garanties d’emploi. ». Le choix de la France de privilégier de manière très forte le chômage partiel est sans doute fondé sur l’expérience allemande de 2008.

Les conditions d’efficacité du chômage partiel pour contenir les suppressions d’emplois

L’efficacité des dispositifs de chômage partiel pour contenir les suppressions d’emplois va dépendre de plusieurs paramètres. D’abord, ces outils seront efficaces seulement s’ils sont accompagnés de mesures fortes de soutien aux entreprises et aux indépendants, notamment des aides à la trésorerie, des garanties et des crédits, des suspensions de charges ou encore des loyers, etc. Le but étant d’éviter les faillites d’entreprise, qui rendraient stériles les mesures de sauvegarde de l’emploi. En Europe, les pays ont pris des mesures fortes et variées pour soutenir les entreprises. La France a par exemple mis en place des mesures de soutien aux entreprises de l’ordre de 110 milliards d’euros (lire « Face aux conséquences économiques et sociales du coronavirus, quelles réponses pour quelles mutations ? »).

L’efficacité du dispositif de chômage partiel dépendra également de sa durée. Cette durée sera liée au niveau des finances publiques et aux choix politiques, mais aussi à la durée du confinement, à la progressivité et l’homogénéité ou non du déconfinement, aux modalités et à la vitesse de la reprise de l’activité et enfin à l’apparition ou non d’une nouvelle vague d’épidémie. Précisément, la reprise de l’activité pourra varier selon les secteurs et dépendra du volume des éventuels rattrapages au niveau de l’offre comme de la demande : consommation de rattrapage et capacité de l’offre de biens et services à répondre à cette demande, réallocation de la main d’œuvre des secteurs qui sont encore à l’arrêt vers les secteurs qui redémarrent. A l’instar de Lang, Clauwaert et Schömann (2013) et Boulin et Cette (2013), on peut aussi se demander si le recours au chômage partiel est soutenable en cas de récession longue ou comportant plusieurs épisodes.

Pour minimiser la hausse du chômage, le système de chômage partiel doit être assez incitatif pour que les entreprises le préfèrent aux licenciements. Pour cela, le dispositif doit être renforcé, ouvert à la grande majorité des salariés et pris en charge par les pouvoir publics sur un temps suffisamment long. Ces incitations dépendront aussi des perceptions individuelles des employeurs, de la situation financière des entreprises, notamment en début de crise, et de la taille des entreprises. En effet, beaucoup de très petites entreprises sont concernées par ce dispositif (près de 50% selon le Ministère du Travail). Pour cette raison, l’interdiction des licenciements en lien avec l’épidémie, comme en Espagne, peut s’avérer complémentaire au dispositif de chômage partiel. Evoquée au début du confinement, en France, cette possibilité a été écartée ensuite. A la mi-Avril, les chiffres manquent encore sur le nombre de personnes licenciées en France sur la période considérée

La durée du confinement, pesant sur le moral des chefs d’entreprise et des consommateurs, dépendra d’abord de la situation sanitaire du pays. Mais les dégâts économiques (et sociaux) d’un confinement ne doivent pas être ignorés et doivent être observés et évalués avec grande attention (voir ce point de vue d’Alain Trannoy).

Des mesures nécessaires de lutte contre le chômage et de soutien aux demandeurs d’emploi

Pour lutter efficacement contre la hausse du chômage et ses effets en termes de revenus, les pays européens devront aussi prendre en compte la situation des demandeurs d’emploi (nouveaux chômeurs ou chômeurs d’avant la crise). Celle-ci s’est fragilisée lors de la crise du coronavirus, en réduisant fortement leurs chances d’un retour à l’emploi, voire sur la période d’après-confinement si les perspectives économiques ne s’améliorent que lentement. Les pouvoirs publics doivent s’assurer que les demandeurs d’emploi perçoivent une indemnisation décente et soient suffisamment accompagnés.

En France, le gouvernement a pris un certain nombre de mesure visant à « protéger » les demandeurs d’emploi pendant la crise : gel de la dégressivité des allocations pour les salariés rémunérés à plus de 4 500 euros brut par mois, maintien du versement des allocations pour les salariés en fin de droits jusqu’au 31 mai 2020, règles d’indemnisation assouplies pour les démissionnaires, période de confinement non prise en compte dans la période de référence servant au calcul des indemnités. En outre, alors que l’ensemble des fédérations syndicales ont réclamé l’abandon du volet indemnisation  de la réforme de l’assurance-chômage de 2019, dont les mesures sont socialement contestables (lire « une réforme de l’assurance-chômage contestée et contestable »), le gouvernement a choisi seulement de décaler l’entrée en vigueur des nouvelles règles du calcul de l’allocation chômage au 1er septembre 2020 (au lieu du 1er avril). Mais l’abandon du volet indemnisation de cette réforme paraît plus que jamais nécessaire, à la fois pour les personnes déjà en situation de chômage récurrent, et pour ceux qui rentreront au chômage dans cette période, sous peine d’une plus grande paupérisation des catégories de travailleurs concernées. L’accompagnement des demandeurs d’emploi (en particulier des publics « récurrents », les plus fragiles) plus que leur stigmatisation paraît essentiel à assurer. Des ressources plus fortes pourraient être consacrées à cet accompagnement, variable importante pour le retour à l’emploi  (voir par exemple cette étude réalisée par le Groupe Alpha pour l’Unédic).

Le temps des choix politiques pour le type et la qualité d’emploi ?

Des premières mesures liées à l’emploi ont déjà été mises en place au niveau européen (comme le programme SURE pour soutenir les mesures de chômage partiel dans les Etats membres). La présidente de la Commission européenne a également mentionné que le prochain budget européen devrait faire office de « Plan Marshall » via des investissements massifs destinés à soutenir l’activité et l’emploi en Europe (pour en savoir plus, voir « L’Europe à l’épreuve du coronavirus »).

De manière plus générale, comme nous l’avions déjà évoqué (lire «  Les mesures économiques et les mutations économiques à venir » et « L’ordre mondial après le coronavirus »), la limitation du chômage à long terme dépendra des choix politiques et des idées (nouvelles ou plus anciennes) qui les influencent, qu’il s’agisse :

‒ de choix économiques : arrêt de coupes budgétaires dans les services publics et en particulier dans le domaine de la Santé, limitation de la concurrence, renforcement des services publics, relocalisations et indépendance économique, taxations aux frontières, approfondissement vers une Europe plus fédérale.

‒ de choix économiques et sociaux : partage du temps de travail, société tournée vers l’humain, renforcement du rôle des syndicats, revenu universel, sobriété et décroissance, évolution des systèmes de retraite, place du digital.

‒ de choix environnementaux : transition écologique et énergétique, investissement dans les énergies vertes, politique de grands travaux et création d’emplois dans l’environnement.

En somme, ces choix influeront sur le type et la qualité des emplois de l’économie et sur le niveau du chômage.

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Nicolas Fleury, Alice Rustique