Sortie de crise : de nouvelles formes de mobilisation de l’épargne à inventer

Différents scénarios pour mobiliser l’épargne disponible

La mobilisation de l’épargne disponible peut emprunter de nombreuses voies (non exclusives l’une de l’autre) :

‒ La ponction fiscale, sur le mode d’un impôt spécifique (le fameux « impôt sécheresse » de 1975 en est le modèle) ou plus classiquement d’une hausse d’impôts (les présidences Sarkozy et Hollande ont pratiqué ainsi en réponse à la crise de 2008-2011).

‒ Le soutien à la consommation, par différentes incitations temporaires spécifiques (la « prime Juppé » pour la consommation automobile en est l’exemple le plus fréquemment cité ; des baisses de TVA peuvent aussi contribuer à cet objectif.

‒ Une mobilisation spécifique, par l’émission de placements attractifs : les emprunts Pinay ou Giscard au début des années 60 ont ainsi marqué les esprits de leur époque.

‒ Une spoliation, par la relance de l’inflation, ou par la taxation de l’épargne elle-même (épargne courte, par le biais des taux de rémunération négatifs ; épargne longue, par une taxation appropriée).

Nous ne citons pas le libre jeu des marchés financiers, pour deux raisons. Premièrement, les taux des placements obligataires (et leurs dérivés comme l’assurance-vie en euros) ne sont pas attractifs. Deuxièmement, les risques sur les marchés d’actions sont accrus et démultipliés par la crise, qui a occasionné des chutes des bourses de l’ordre de 25 à 30%, et qui surtout  brouille considérablement les perspectives sectorielles de l’ensemble de l’économie, rendant le choix de valeurs à investir extrêmement opaque.

L’orientation récente des placements des français indique assez bien à quel point cette orientation de l’épargne vers la sphère productive n’a aucune chance de se faire sur un mode spontané.

Des mesures aux effets très disparates, voire parfois opposés

Les scénarios évoqués ci-dessus n’ont absolument pas les mêmes effets.

Dans le cas de la ponction fiscale, le bénéficiaire exclusif sera alors le déficit de l’Etat, sans aucun effet d’entraînement sur l’économie. Il s’agirait alors d’une disposition largement récessive, visant le retour à une orthodoxie budgétaire, dans laquelle il est difficile de lire quelque apport à la résolution de la crise et à la prise en charge des défis qui s’annoncent. Elle pourrait néanmoins revêtir des voies plus politiques ou symboliques qu’économiques, comme marqueur de solidarités et réducteur des inégalités face à la crise (le rétablissement de l’impôt sur la fortune relève de ce type de symbolique marginale). Mais on sait que les effets d’une crise sur les inégalités sont bien plus forts que leur réduction par l’impôt ne peut le contrebalancer. Dès lors, éviter les mesures qui freinent l’activité économique semblerait plus sage. Un consensus s’est progressivement fait sur l’effet dépressif exagéré des mesures budgétaires du début des années 2010, en réponse imparfaite à la crise financière de l’époque.

Dans le cas du soutien temporaire à la consommation, l’effet serait au contraire essentiellement économique et social. Il viserait au sauvetage le plus rapide possible de l’appareil productif et commercial national. La gageure sera alors du choix des secteurs soutenus, de telle sorte que les activités de services, le commerce, et la production nationale en bénéficient, et non pour l’essentiel les productions importées. Une autre gageure sera l’impact écologique : la relance des productions carbonées ayant un fort impact économique et social immédiat, mais n’assurant pas la trajectoire carbone de notre économie et de notre société. Une telle mesure réunirait de grandes conditions de pertinence dans le contexte actuel. Elle pourrait en effet relancer le secteur du tourisme national, privilégier les activités de services présentiels et le petit commerce, favoriser l’écoulement de productions locales en circuit court, assurer la résilience du secteur culturel, inciter aux achats ou dépenses contribuant à la décarbonation (dépense énergétique des logements, ou acquisition de véhicules électriques, par exemple),  etc.

Le cas d’une mobilisation spécifique, par l’émission de placements attractifs, est une voie coûteuse (par définition plus chère que l’endettement sur les marchés) et sans effet d’entraînement sur la machine économique, sauf si elle est réservée à certains types d’investissement prioritaires, traités hors du calcul du déficit de l’Etat. Là aussi, le contexte de la transition climatique et de la trajectoire décarbonée pourrait en renforcer l’intérêt. De même, la réhabilitation du secteur hospitalier après deux décennies d’appauvrissement organisé offrirait une piste motivante pour les Français appelés à investir ce supplément d’épargne forcée.

Enfin, la spoliation n’est pas une voie aussi aberrante qu’il y paraît. Qu’elle prenne la voie indirecte de l’inflation, ou celle bien plus directe de la taxation ou de la tarification négative de l’épargne, elle peut constituer une réelle incitation à la dépense immédiate et donc à la relance de la machine économique. L’inflation présenterait l’avantage d’agir également sur les finances publiques, gravement alourdies par le supplément d’endettement pleinement justifié par la crise. Les formules de taxation ou de tarification négative (plus indolore, et donc à privilégier psychologiquement pour éviter les effets pervers d’évasion, massivement observés par le passé) auraient par contre l’avantage de ne cibler que les seuls Français en excédent d’épargne, et seraient donc socialement plus justes qu’une inflation indifférenciée.

Une autre piste, à explorer ?

Une autre piste est peut-être à explorer. Elle reviendrait à créer un tout nouvel instrument financier contribuant au financement direct de l’économie, mais dans des conditions radicalement nouvelles. Il s’agirait alors de créer des titres d’investissement participatifs perpétuels ouvrant droit à rémunération au titre de quasi-fonds propres et monétisés (sans plus-value) par un tiers garant.  L’entreprise, ou l’institution les émettant, en assurerait la rémunération. Le garant (de type Caisse des Dépôts et Consignations, par exemple) en assurerait la liquidité et financerait le risque ainsi mutualisé par le jeu des plus-values auquel il serait pour sa part intéressé.

L’entreprise y gagnerait la reconstitution de ses fonds propres abîmés par la crise, sans dilution ou remise en cause de sa gouvernance. Le particulier prêteur serait incité par une protection de son épargne et un taux faible mais assuré. La collectivité y gagnerait une remise en route rapide et investisseuse de son potentiel productif, et pourrait aussi par le biais de l’agrément des émetteurs  orienter cet outil financier massif vers les secteurs ou types d’entreprises qui concourent effectivement aux objectifs économiques et stratégiques de la nation.

 

La sortie de crise ne peut avoir pour seule perspective le remboursement des dettes accumulées, et à travers elle la rémunération du passé. Un élan est possible si les mesures de mobilisation de l’épargne, classiques ou novatrices, jouent un rôle actif d’incitation et d’orientation de l’investissement des français, et de l’économie française, vers un avenir commun et choisi.

Au-delà de l’intérêt économique d’une telle proposition, son caractère motivant se tourne aussi vers le crédit démocratique qu’elle pourrait revêtir, à l’heure où la nation s’est mobilisée pour affronter cette crise universelle.

Alain Petitjean