En sortie de crise, quelles solutions pour l’emploi ?

Eviter l’envol d’un chômage de masse durable et le sacrifice d’une génération de diplômés

Tirer les enseignements de la crise de 2008, comme on l’a fait en matière de soutien monétaire et budgétaire, doit également s’appliquer à la question cruciale de l’emploi. De ce point de vue, les choses sont claires. Il faut à tout prix éviter que s’installe un chômage de masse car on met alors une dizaine d’années pour simplement effacer la bosse des demandeurs d’emploi de longue durée ainsi créée et pour amortir leur coût humain et économique pour la collectivité. Il faut de même empêcher qu’une ou deux générations de diplômés soient sacrifiées par le tarissement des embauches : là aussi, les études du Céreq manifestent une trace durable dans leur accès à l’emploi, et au-delà, sous forme de progression salariale sacrifiée notamment (voir « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée »).

En sortie de crise, quelles solutions pour l’emploi ?

Dans cet ordre d’idée, faire travailler plus les « insiders » (ceux qui ont un travail) s’oppose frontalement à une politique visant au contraire à l’inclusion maximale des « outsiders » (en recherche d’emploi stable).

Les solutions doivent être cherchées pour assurer la préservation d’un accès à l’emploi, au bénéfice du plus grand nombre – ce qui n’est pas compatible avec sa maximisation pour quelques-uns seulement.

Travailler plus pour gagner plus, ou moins, a un coût caché pour la collectivité

Au-delà du drame humain que représente l’exclusion durable du marché du travail, ou le gâchis d’une non-inclusion au marché du travail pour les jeunes diplômés, s’ajoutent des considérations économiques qu’il convient d’avoir à l’esprit.

Considérons les différentes propositions avancées par les partisans du « travailler plus ». Il convient de les analyser du triple point de vue de leur intérêt pour l’entreprise, pour les salariés concernés et pour la collectivité. Celle-ci est en effet doublement impliquée, par le biais des prélèvements sociaux qu’elle tire de l’activité économique et des revenus versés par les entreprises, et par les prestations sociales qu’elle doit aux personnes privées d’emploi et/ou de revenus.

Une première proposition, qui concerne les renoncements aux jours de congé et RTT, consiste à travailler plus à salaire égal. Le gain pour l’entreprise est direct, maximal et donc évident. Par définition, il n’y a alors pas de gain pour les salariés. Et pour la collectivité, les éventuels impôts sur le résultat payés par l’entreprise (si elle en paie une quote-part décente en France) sur la richesse supplémentaire ainsi créée sont très inférieurs à la perte de prélèvements sociaux sur cette dernière.

Une seconde proposition, qui promeut des baisses de salaires, consiste à gagner moins à travail égal. Le gain pour l’entreprise est là aussi direct, sous forme d’économie cette fois (et non de supplément de richesse créé). Par définition, il y a au contraire une perte pour les salariés. Cette perte atteint aussi la collectivité, sous forme de prélèvements sociaux inférieurs et de moindres impôts sur le revenu et la consommation. C’est logiquement la proposition à l’effet récessif le plus fort.

Une troisième proposition, qui porte sur l’allongement de la durée du travail à salaire compensé (le travailler plus pour gagner plus), paraît d’emblée plus dynamique. Le gain pour l’entreprise est indirect, sous forme de production supplémentaire, procurant une hausse des marges au moins proportionnelle. Pour les salariés, un gain de revenu proportionnel apparaît. Pour la collectivité, le supplément de richesse perçu de la hausse des revenus de l’entreprise et des salariés n’est réel que si la production globale du secteur (et non de la seule entreprise ainsi considérée) s’oriente à la hausse grâce à cette mesure. On reconnaît là le modèle de la reconstruction d’une économie après une guerre qui inspire certains des supporters du « travailler plus pour gagner plus ». Mais il est au contraire immédiatement annulé si de telles mesures s’opèrent à production constante et n’aboutissent qu’à un transfert de parts de marché entre entreprises dans un jeu sectoriel à somme nulle. Et il devient franchement négatif dès lors que cette augmentation de travail de la part des salariés a pour contrepartie l’exclusion du marché du travail de trop nombreux demandeurs d’emploi.

 

Ces conceptions de la sortie de crise comme effort à faire porter sur les salariés, qu’ils en soient rémunérés (la troisième proposition) ou non (les deux premières), nous paraissent fallacieuses et historiquement démenties dans leur efficacité.

Une meilleure voie nous paraît être :

‒ d’assurer le soutien aux entreprises en sortie de crise, pour leur redémarrage comme pour leurs investissements (lire « Les conditions pour une sortie de crise réussie ») ;

‒ d’assurer un soutien à la demande dans certains secteurs ciblés (travaux, bâtiments, infrastructures, matériels de transport, etc.) ;

‒ de soutenir les embauches, y compris par des formules (fiscales ou sociales) accroissant leur attractivité immédiate pour l’entreprise ;

‒ de prendre en charge de la formation sur le lieu de travail de cette nouvelle main d’œuvre.

Seule une sortie de crise inclusive permettra de rembourser les dettes contractées pendant la crise, et garantira de préserver pour cela le potentiel productif de la nation.

Alain Petitjean