Evolution des salaires en 2021 : vers une année noire ?

Contexte macroéconomique : vers un ralentissement général de la croissance des salaires 

La crise sanitaire et les mesures d’endiguement qui ont suivi ont porté un coup d’arrêt brutal à la croissance française. Selon l’Insee, le PIB devrait s’effondrer de -9 à -10 % cette année. La chute de l’activité est la principale raison qui explique le ralentissement général de la croissance des salaires à venir. L’effondrement de la consommation liée aux mesures gouvernementale pour enrayer l’épidémie a fortement affecté le chiffre d’affaire des entreprises qui ont vu leur marge s’effondrer. Le taux de marge des entreprises s’est abaissé à 27,8 % au T2 2020 après 33,2 % en moyenne sur l’année 2019, une première depuis 1985. Ce taux a légèrement rebondi au troisième trimestre, avec la reprise estivale mais celui-ci devrait de nouveau diminuer en fin d’année. Cette contraction des marges des entreprises est de nature à compresser les augmentations de salaires à venir.

Evolution des salaires en 2021 : vers une année noire ?

Ensuite, même si le chômage partiel a été largement mobilisé, de nombreux emplois ont été détruits. Au premier semestre, l’économie a déjà perdu près de 715 000 postes, soit la plus forte destruction d’emplois sur un semestre depuis 1970, et devrait en perdre 850 000 sur l’année au total (salariés et non-salariés). Les embauches s’effondrent et les plans de restructurations se multiplient dans les entreprises mais la grande majorité des emplois détruits concerne les « invisibles des plans sociaux » : les CDD et l’intérim, mais aussi les démissions, ruptures conventionnelles et fins de période d’essai, etc.

Ainsi, selon la Banque de France, le taux de chômage devrait s’élever à 11,1 % en 2021, soit une hausse d’une ampleur et d’une rapidité inédites, notamment par rapport aux précédentes crises (voir graphique). Cette hausse du taux de chômage, concomitante à l’explosion du halo autour du chômage, contribue à ralentir les augmentations de salaire. En effet, la hausse du nombre de demandeurs d’emploi souhaitant travailler ou travailler davantage (qu’ils soient inscrits à pôle emploi ou non) pèse sur leur pouvoir de négociation.

Evolution des salaires en 2021 : vers une année noire ?

Par ailleurs, les augmentations versées en 2021 seront également contraintes par la faiblesse de l’inflation prévue pour 2020 (+0,5 % en 2020 contre + 1,1 % en 2019). En effet, même s’il n’y a pas d’indexation automatique (à part sur le SMIC), le niveau d’inflation de l’année passée est souvent considéré comme le référentiel clef dans les négociations salariales. Un faible niveau d’inflation tirera les augmentations salariales vers le bas.

Enfin, la multiplication des accords de performance collective (APC) pourrait aussi peser sur l’évolution des salaires, particulièrement au niveau sectoriel. Créés par les ordonnances Macron de 2017, les APC permettent, par la négociation, de modifier le salaire, le temps de travail et la mobilité au nom de la préservation de l’emploi. Depuis janvier 2019, le nombre d’APC a plus que doublé en passant de 150 à 371 accords. Considérés comme une alternative aux licenciements et appréciés pour leur grande flexibilité, ces accords, souvent à durée indéterminée (75 % d’entre eux), sont utilisés par de nombreuses entreprises pour lutter contre les conséquences économiques du Covid-19. Les APC avec baisse des salaires sont ainsi en nette augmentation, notamment dans le secteur de l’aéronautique (Air Caraïbes, French Bee, Ryanair, Derichebourg Aeronautics Services) et la généralisation de ces derniers pourrait conduire à un risque macroéconomique non négligeable. On pourrait alors assister au déclenchement d’une dynamique de moins disant social menant à une baisse généralisée des salaires dans le secteur.

La chronologie de la crise sanitaire a relativement protégé les augmentations de 2020

L’impact de la crise sanitaire sur les augmentations de salaires distribuées en 2020 diffère selon les entreprises. Une grande partie d’entre elles ont décidé de maintenir leurs engagements et leurs promesses salariales de début d’année, la majorité des négociations salariales ayant eu lieu avant le début de la crise sanitaire.

Mais une partie des entreprises (30 % selon les cabinets Deloitte et Willis Towers Watson et 28 % selon Mercer) ont au contraire choisi d’amoindrir ou de geler les augmentations cette année. De plus, 20 % des entreprises ont décidé de réduire ou de reporter les primes annuelles selon Willis Towers Watson.

Le fait qu’une partie des entreprises aient gelé les salaires tire vers le bas le résultat des pratiques d’augmentations salariales versées en 2020. Ainsi, les augmentations du salaire de base versées en 2020 sont en léger recul par rapport à 2019. Selon Deloitte, elles ont été de 2,0 % pour les non-cadres et de 2, 3% pour les cadres, en baisse par rapport à 2019 de 0,4 point (2,4 %) et 0,5 points (2,8 %). Selon Willis Tower Watson, la médiane du taux d’augmentation salariale pour 2020 s’élève à 2,3 %, contre 2,5 % avant le Covid-19. L’impact du Covid sur les augmentations salariales de cette année reste donc plutôt limité.

Ce maintien partiel des augmentations promises avant le Covid s’accompagne généralement d’une forte gestion du capital humain. Les entreprises ont préféré réduire les embauches pour limiter l’impact de la crise sur leur trésorerie et maintenir un niveau d’augmentation assez soutenu pour retenir et fidéliser les salariés. Selon l’ANDRH, 27 % des entreprises anticipaient en septembre un recours aux dispositifs de restructuration (activité partielle de longue durée, rupture conventionnelles collectives, accords de performance collective et plan de sauvegarde de l’emploi).  

Une projection 2021 marquée par une baisse des budgets et une hausse de l’incertitude

Si, en 2020, les deux tiers des entreprises ont décidé de maintenir les augmentations qu’elles avaient promises avant la crise, elles sont néanmoins nombreuses à ajuster à la baisse leurs budgets prévisionnels d’augmentation pour 2021, en prévision d’un exercice de négociation annuelle obligatoire (NAO) inédit. L’impact de la crise sur l’évolution des salaires pourrait ainsi être davantage visible en 2021.

D’après Deloitte, c’est la première fois depuis 6 ans que le budget prévu pour 2021 par les entreprises pour augmenter les salaires est en baisse. Les non-cadres (ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise) devraient au mieux profiter d’une hausse de 1,5 % et les cadres de 1,7 % alors que le budget de l’année dernière pour les deux catégories s’élevait à 2,1 % (voir graphique). Mais ces prévisions datent du mois de septembre. Depuis, le pays a été reconfiné et la reprise économique s’est tassée. Ainsi, dans un scénario pessimiste dit « sévère », les budgets prévisionnels pour 2021 pourraient s’effondrer de 0,3 % à 1 % pour les non-cadres et de 0,5 % à 1,1 % pour les cadres. L’impact du Covid-19 sur les budgets prévisionnels serait maximum en 2021, se résorberait en 2022 pour ne revenir aux tendances historiques d’augmentation qu’à partir de 2023.

Evolution des salaires en 2021 : vers une année noire ?

Ces estimations masquent une grande diversité de situations. Les secteurs qui distribueront les plus faibles augmentations de salaire sont les transports, le commerce, les médias et l’hôtellerie restauration tandis que la grande consommation, l’industrie de la santé et des technologies devraient s’inscrire dans la fourchette haute des augmentations de salaire.

Les projections pour 2021 sont également marquées par une forte incertitude. Selon le cabinet Mercer, alors que 382 entreprises se sont exprimées sur leur politique de rémunération en 2020, seule une centaine ont pu se prononcer sur leur budget d’augmentation pour 2021, tout simplement parce qu’elles ne savaient pas encore ce qu’elles allaient faire. Cette incertitude se traduit par un poids des enveloppes individuelles renforcé par rapport à l’an dernier au détriment des enveloppes d’augmentation générale. Les entreprises devraient davantage individualiser les augmentations salariales, pour attirer et fidéliser les salariés à haut potentiel.

La part variable du revenu devrait être particulièrement touchée par la crise du Covid-19, ne serait-ce qu’à cause de la non-tenue des objectifs et de la baisse des performances des entreprises. En particulier, la participation et l’intéressement devraient subir un recul significatif, plongeant l’épargne salariale vers un point bas inédit. Les salariés des grandes entreprises seraient principalement touchés par cette baisse. À titre indicatif, lors de la dernière crise financière de 2009, les montants de la participation et de l’intéressement versés aux cadres avaient respectivement baissé de 15 et 3 % en France par rapport à l’année 2008.

L’égalité salariale femme-homme, les bonus et les primes pourrait également être sacrifiés. Enfin, les mobilités internes ou externes devraient fortement ralentir alors que celles-ci permettent fréquemment d’obtenir une augmentation. L’Apec craint également une évolution salariale moins favorable pour les cadres en début de carrière.

Les mesures gouvernementales soutiendront difficilement les bas salaires

Dans un contexte de perspectives moroses et incertaines pour les entreprises, le revenu des français aurait pu être soutenu par les pouvoirs publics, directement ou indirectement, notamment via le plan de Relance. Mais ce plan ne prévoit pas d’aides directes aux revenus des ménages, notamment pour les plus précaires : pas de coup de pouce pour le SMIC, pas de revalorisation des minima sociaux au-delà de l’inflation et encore moins de hausse des allocations chômage (voir ce billet de blog). Hormis en 2012, le salaire minimum n’a pas connu de coup de pouce au-delà de la revalorisation légale depuis près de dix ans. En raison de la crise sanitaire, la hausse du Smic au 1er janvier 2021 devrait être très limitée, autour de 0,9 %, cette augmentation annuelle étant calculée à partir de la hausse des prix et des bas salaires qui devraient être très faibles cette année (l’inflation devrait seulement augmenter de + 0,5 % en 2020). Or, le SMIC est un repère majeur dont l’augmentation a un effet d’entraînement avéré sur l’ensemble des salaires (voir l’étude de G. Cette, V. Chouard et G. Verdugo).

La prise en charge massive des salaires par l’Etat via le chômage partiel a permis de limiter la baisse du revenu des français. Néanmoins, les salariés en situation de chômage partiel, qui sont encore en nombre très important (1,6 million de salariés en octobre soit 10 % des salariés du privé, après 8,6 millions en avril), subissent malgré tout une perte nette de salaire de près de 16 %, en plus de certaines primes exclues du dispositif d’indemnisation. Si certaines entreprises ont la capacité de prendre en charge le différentiel de traitement, il reste que cette faculté juridique et financière ne présente pas de caractère contraignant. Au total, au second trimestre, pendant le premier confinement où près de 50 % des salariés du privé étaient en chômage partiel, le revenu disponible des ménages a reculé de 2,7 % et leur pouvoir d’achat a reculé de -2,4 %. Le prolongement des mesures de chômage partiel lié à la deuxième vague de l’épidémie devrait maintenir le revenu des ménages a un niveau inférieur à celui d’avant-crise.

Enfin, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat a été de nouveau reconduite cette année. Cette prime, avantageuse fiscalement, peut servir de contreparties aux restrictions salariales des entreprises. Mais elle s’est largement essoufflée cette année. D’après Deloitte, alors que 60 % des entreprises l’ont distribuée en 2019, elles seront seulement 23 % à l’utiliser cette année pour rémunérer les salariés mobilisés pendant la crise et compenser les conséquences économiques de cette crise sanitaire. Et ce pour un montant moyen inférieur celui de l’année dernière (327 euros contre 456 euros en 2019).

Conclusion

Dans ce contexte très particulier, les négociations annuelles obligatoires s’annoncent particulièrement délicates pour l’année 2021. Si les augmentations versées cette année ont été relativement préservées, on peut cependant s’attendre à une plus forte pression sur les salaires l’année prochaine. Au niveau macroéconomique, le pouvoir de négociation des salariés et des demandeurs d’emplois sera contraint par l’explosion du chômage et par l’effondrement de l’inflation. Au niveau sectoriel, la multiplication des accords de performance collective et des plans de licenciement devrait également compresser la hausse des salaires à venir. Quant aux mesures du gouvernement vouées à soutenir le revenu des salariés, elles devraient avoir des effets positifs plutôt limités, en raison notamment d’un manque d’interventionniste sur les bas revenus.   

D’où l’importance du dialogue social et du partage des gains de productivité entre les salariés, les dirigeants et les actionnaires, notamment au niveau des branches. Sur ce sujet, le gouvernement a annoncé se pencher sur « le partage de la valeur », qui recouvre – entre autres – tout ce qui a trait à l’intéressement et à la participation. Mais les négociations avec les syndicats et le patronat ont été repoussées à plus tard. 

L’enjeu primordial de court terme pour préserver les salaires et les augmentations paraît de relancer la demande pour dynamiser l’activité et ainsi libérer des marges de manœuvre aux entreprises afin qu’elles puissent distribuer des augmentations de salaires correctes (voir ce billet de blog).

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Alice Rustique