Quelles évolutions des salaires en 2022 ?

En 2021, la priorité du gouvernement et des entreprises a été la sauvegarde des emplois, au détriment des revalorisations salariales. Mais, cette année, les pressions inflationnistes, les pénuries de main d’œuvre et le rebond des marges des entreprises laissent présager des hausses significatives de salaires. Les négociations obligatoires sont fortement attendues, si bien qu’elles entraînent des mobilisations inédites dans les entreprises. Néanmoins, sans une revalorisation franche du Smic et des minima de branche, les écarts de salaires risquent de se creuser.

Des difficultés de recrutement qui rééquilibrent les négociations

Dès l’été 2021, l’économie française a retrouvé son niveau d’emploi d’avant-crise. Ce rebond rapide de l’emploi et de l’activité (hausse de 6,7 % du PIB en 2021 selon l’Insee) s’est accompagné d’importantes pénuries de main d’œuvre. En novembre 2021, 51 % des entreprises indiquaient avoir des difficultés à recruter (40 % dans les services, 44 % dans l’industrie et 70 % dans le bâtiment). Au T3 2021, le taux d’emplois vacants s’élevait à 1,9 % selon la Dares, un record depuis le début de la série. Les pénuries de main d’œuvre touchent principalement les services scientifiques, la santé, l’hébergement-restauration, l’agriculture, le commerce de détail et la construction (enquête BMO Pôle Emploi).

Même si le mauvais appariement de l’offre et de la demande de travail est lié à de nombreux facteurs (inadéquation des compétences, géographie, intensité des embauches simultanées), la hausse des tensions pose, d’abord, la question de la qualité et de l’attractivité des offres d’emploi, dans un contexte de taux de chômage élevé. Comme l’ont rappelé S. Grobon, I. Ramajo et D. Roucher (Dares, 2021), les difficultés de recrutement s’expliquent essentiellement par des salaires insuffisants et des conditions d’emploi difficiles.

Ainsi, on peut s’attendre à ce que les entreprises, confrontées à un retournement du pouvoir de marché en faveur des salariés et à des tensions sociales internes inédites, décident d’augmenter les salaires. Ce rattrapage salarial devrait être d’autant plus important qu’au-delà des difficultés de recrutement, les entreprises font face à un nouvel enjeu en 2022, celui de la rétention et de l’engagement de leurs salariés dans un contexte de mobilité professionnelle accrue notamment par le télétravail (selon Robert Half, 95 % des entreprises seraient préoccupées par la rétention de salariés).

La hausse des pressions inflationnistes tire les salaires vers le haut

La hausse des pressions inflationnistes, causée par la flambée des prix des matières premières et par les contraintes du commerce international, est le deuxième facteur plaidant en faveur d’une hausse généralisée des salaires. L’indice des prix harmonisé a atteint +3,4 % en novembre et décembre 2021, un record depuis 2008, alors que la hausse du salaire de base se situait autour de 1,5 % (voir graphique). L’inflation, qui touche surtout les dépenses essentielles des individus (alimentaire, énergie), rogne sur leur pouvoir d’achat. Selon l’Insee, celui-ci devrait même diminuer au premier semestre 2022.

Face à ces pressions inflationnistes, on peut s’attendre à ce que les entreprises augmentent les salaires. En effet, le niveau d’inflation est souvent considéré comme le référentiel clef dans les négociations salariales. La hausse de l’inflation en fin d’année 2021 a poussé 45 % des entreprises à revoir leurs prévisions NAO 2022 selon Deloitte. De surcroît, la plausible persistance de ces pressions inflationnistes (surplus d’épargne, effets inflationnistes des plans de relance, durabilité des contraintes d’approvisionnement, raréfaction du pétrole, etc.) appelle des réponses pérennes, issues des revenus du travail, a contrario de l’indemnité inflation distribuée en décembre.

Quelles évolutions des salaires en 2022 ?

Les résultats records des entreprises leur donnent de la latitude pour augmenter les salaires

Les aides massives de l’Etat versées aux entreprises pendant la crise ont permis aux entreprises de préserver leur trésorerie et de renforcer leur taux de marge, ce qui leur donne de la latitude pour distribuer des augmentations de salaires. Depuis début 2020, la situation de trésorerie des entreprises est en hausse et elle se situe en décembre 2021 bien au-dessus de sa moyenne de long terme (Banque de France).

Le taux de marge des entreprises a également atteint un niveau historiquement élevé. La part de la création de richesse collective que les entreprises conservent se situe autour de 35,7 % pour le premier semestre 2021 (EBE/VA). Cette part n’a jamais été aussi élevée depuis que la statistique existe, soit depuis 1949.

La forte progression des marges des entreprises depuis la crise pose la question du partage de la valeur entre les différentes parties prenantes. Le graphique ci-dessous montre qu’une part de plus en plus importante du revenu global est accaparée par les actionnaires (passant de 5,9 % en 1996 à 15,8 % en 2019) et que la part des salaires dans le revenu global est en légère baisse (l’atonie des bas salaires est compensée par l’envolée des hautes rémunérations). Les dividendes mondiaux devraient d’ailleurs atteindre des records en 2021. La pression des actionnaires, associée à l’atomisation des salariés (recul du poids des syndicats, recours à la sous-traitance, flexibilisation du marché, individualisation de la politique salariale), est l’une des causes structurelles de la faiblesse des rémunérations. Dans le modèle « néo-fordiste », décrit par Signoretto, Giraud & alii (Rapport du LEST pour la DARES, septembre 2021), la financiarisation du capital limite les augmentations de salaires puisque la domination actionnariale et la centralisation des décisions au niveau du groupe peuvent vider de leur substance les négociations salariales à l’échelle des établissements.

L’envolée récente des marges des entreprises, en ranimant le débat sur le partage de la valeur, pourrait bien sonner l’heure du rattrapage salarial en 2022.

Quelles évolutions des salaires en 2022 ?

Après une année morose en 2021, des hausses significatives prévues pour 2022

En 2020, les augmentations ont été relativement protégées par la chronologie de la crise dans la mesure où la plupart des NAO ont eu lieu avant le début du confinement. Les effets de la crise sur les évolutions salariales se sont pleinement ressentis en 2021, à travers une baisse significative des montants versés. Selon Deloitte, 45 % des salariés n’ont pas eu d’augmentation en 2021. Les augmentations médianes (pour les salariés qui ont été augmentés) ont été de 1,8 % selon Deloitte, de 1,39 % selon People Base CBM et de 1,45 % selon LHH, un plus bas depuis 10 ans.

Les projections de ces cabinets pour 2022 sont plus optimistes. Les hausses médianes devraient se situer autour de 1,8 % pour LHH, 2 % pour Deloitte, 2,36 % pour People Base CRM et 2,5 % pour Mercer (pour les dernières négociations début 2022).  Selon l’Insee, l’acquis de croissance pour le salaire de base est de 2,3 % pour 2022.

Ces hausses sont significatives mais ne sont pas démesurées, surtout au regard des prévisions d’inflation pour 2022 (+2,5 %). Elles ne sont pas le signe d’un emballement des salaires ou d’une spirale prix-salaires mais marquent simplement le début d’une normalisation du marché du travail, voire d’un éventuel rattrapage après un ralentissement engagé il y a plusieurs années : entre 2016 et 2020, les salaires de base ont augmenté de 1,4 % en moyenne, contre +1,9 % entre 2008 et 2015 (période comprenant la crise des subprimes, de la dette et des années de croissance faible).

Les augmentations de salaires devraient être inégales parmi les secteurs. Selon Mercer, les secteurs qui ont peu souffert de la crise sanitaire (banque/assurance, high-tech, pharmacie, matériel médical, etc.) devraient se montrer les plus généreux. Pour Deloitte, les budgets les plus élevés seront distribués dans les entreprises de la chimie, de l’énergie ou encore de la grande consommation (voir graphique). L’automobile ou l’aéronautique, touchés par de fortes contraintes d’approvisionnement, devraient distribuer des augmentations plutôt faibles.

Quelles évolutions des salaires en 2022 ?

Minima de branche et Smic : des relais défaillants sur les bas salaires

Les budgets globaux des entreprises sont en hausse mais cachent d’importantes disparités. Alors que la pandémie a creusé les inégalités, les entreprises s’apprêtent à individualiser encore davantage les augmentations (Deloitte, People Base CPM). Comme le soulignent les syndicats, cette individualisation nourrit une grande hétérogénéité au sein des entreprises et n’est pas sans risque sur la cohésion sociale. De plus, selon Deloitte, les entreprises ne prévoient pas de rattrapage marqué pour les inégalités femmes-hommes et sont seulement 9 % à prévoir de verser la prime PEPA pour les bas salaires en 2022, contre 18 % en 2021 et 23 % en 2020.

Il en ressort que, face aux rapports de force déséquilibrés dans les entreprises (rapport de subordination, confits, chantage à la restructuration, pression de l’actionnariat, atomisation du salariat (voir supra)), le besoin de relais conventionnels et étatiques sur les bas salaires apparaît nécessaire. Cependant, en 2022, ces relais en dernier ressort semblent bouchés.

En effet, cette année, la puissance publique ne souhaite pas jouer sur les leviers dont elle dispose pour augmenter les salaires. Le Smic a été augmenté de 0,9 % en janvier 2022, après une hausse de 2,2 % en octobre 2021 (soit 3,1 %), ce qui reste très inférieur aux hausses observées dans les autres pays européens (engagement pour une hausse de 25 % en 2022 en Allemagne, de 6,6 % en 2022 au Royaume-Uni, dépassant le niveau du Smic français, et de fortes hausses en 2020 : Espagne : +5,5 % après +22,3 % en 2019 ; République tchèque +10,1 % ; Pologne +16,8 %). Or, quand le dialogue social dans les entreprises est bloqué, la hausse du smic est un moyen efficace pour diffuser des augmentations sur toute la chaîne des salaires.

La hausse des minima de branche est un autre relais pertinent pour engager une dynamique sur l’ensemble des salaires mais la négociation de branche semble aujourd’hui en panne.

Avec la revalorisation de 2,2 % du Smic au 1er octobre, de nombreux minima de branche se sont retrouvés sous le niveau du Smic. Le ministère du Travail évoque un chiffre de 108 branches non conformes au 1er octobre 2021 (comportant au moins un coefficient inférieur au Smic). Cet écrasement des minima de branche provoque un effet de paupérisation relative et une massification des salaires autour du Smic qu’il conviendrait de contrecarrer en relevant l’ensemble des grilles des minima de branche.

Or, à l’exception de certaines branches (dont la branche café hôtellerie restauration qui augmentera les minima de 16 % pour répondre à la pénurie de main d’œuvre) et malgré la pression de l’Etat, la plupart des négociations de branche n’ont pour l’instant pas abouti à des hausses conséquentes de salaires. Le dialogue social conventionnel, marqué par de fortes disparités, ne semble, dans l’ensemble, pas assez fécond sur cette thématique. L’atonie du dialogue social dans les branches n’est pas nouvelle. L’activité conventionnelle de branche diminue nettement depuis 2018. En particulier, les accords de branche sur le thème des salaires accusent un net ralentissement en 2020 (-38 % par rapport à 2019) et en 2019 (-15 % par rapport à 2018).

Conclusion

Après une année morose pour les salaires en 2021 au cours de laquelle l’objectif a d’abord été le maintien de l’emploi, les revalorisations devraient être significatives en 2022. Les pressions inflationnistes, les pénuries de main d’œuvre et la hausse des résultats des entreprises poussent les salaires à la hausse. Les élus et syndicats auront des marges de manœuvre importantes pour négocier les augmentations de salaires. La hausse des salaires répond à des enjeux qui vont au-delà du contexte de reprise économique post-crise. Elle répond à la nécessité, d’une part, de reconnaître et de retenir les compétences et, d’autre part, de rattraper le décrochage de la rémunération du travail engagé pendant plusieurs années, en le rétribuant à sa juste valeur.
Néanmoins, ces hausses de salaires risquent d’être inégales au sein des entreprises et des secteurs. Face à l’atomisation des salariés et au déséquilibre du rapport de force dans les entreprises, revaloriser davantage le Smic et agir automatiquement sur les minima de branches semblent être le canal le plus efficace. Ces deux leviers d’action sont d’ailleurs essentiels en vue d’une reprise économique robuste, équitable et durable.