PEPA, une prime qui n’a rien d’exceptionnel

Fin 2018, était instaurée une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, aussi appelée « PEPA » ou « prime Macron », visant à soutenir le pouvoir d’achat des Français. Exonérée de toute cotisation sociale (patronale et salariale) et d’impôt sur le revenu, cette prime a été reconduite chaque année. Quatre ans plus tard, elle est toujours là et a constitué l’une des principales mesures du projet présidentiel d’Emmanuel Macron en matière de pouvoir d’achat. Celui-ci propose un triplement du montant maximum de la prime, soit un plafond de 3.000 euros par bénéficiaire, ou 6.000 euros pour les entreprises de moins de 50 salariés, celles ayant mis en œuvre un accord d’intéressement, ou celles couvertes par un accord (de branche ou d’entreprise) valorisant le métier des travailleurs dits de la deuxième ligne.

Ce billet montre que la dynamique des accords n’a pas accéléré malgré l’augmentation de l’inflation, que leur répartition par secteur d’activité et taille d’entreprise reste relativement concentrée et que le montant maximum moyen de la prime évolue autour de 500 euros.

L’accélération de l’inflation n’a pas relancé la dynamique des accords PEPA

Comme pour les augmentations salariales, la PEPA peut être instaurée par un accord collectif ou sur une décision unilatérale de l’employeur. L’analyse des accords collectifs constitue ainsi un indicateur du recours à cette prime par les entreprises. S’agissant des négociations salariales, 60 % d’entre elles aboutissent à un accord d’après les données de l’enquête REPONSE 2017 (lire « Tensions et conflits du travail dans les établissements français depuis les années 2000 »). Pour la PEPA, deux phénomènes de sens contraire peuvent jouer :

  • D’un côté, on peut faire l’hypothèse que le taux d’aboutissement à un accord serait plus élevé car le sujet apparaît moins conflictuel qu’une négociation salariale pour au moins deux raisons. La première est que le versement d’une telle prime n’est valable que pour l’année en cours ; il s’agit donc d’un engagement valable une fois, contrairement à une augmentation de salaire qui implique un engagement pérenne. La deuxième est que les règles de fonctionnement de cette prime sont largement régies par la loi.
  • D’un autre côté, il est possible que les entreprises aient voulu, lors de la mise en place de cette prime, légitimer le recours à cette dernière par la conclusion d’un accord collectif. Toutefois, une fois passé l’effet de nouveauté, les directions d’entreprise pourraient recourir davantage à la PEPA sans le formaliser dans un accord.

Le nombre d’accords instaurant une prime Macron a eu tendance à diminuer. En 2019, la quasi-totalité des accords instaurant une PEPA avaient été signés au premier trimestre puisque la prime devait avoir été versée au cours de cette période. L’année suivante, la loi du 24 décembre 2019 de financement de la Sécurité sociale pour 2020 avait allongé à 6 mois la période de versement de la prime et resserré les conditions pour bénéficier de l’exonération des cotisations et contributions sociales. Seules les entreprises couvertes par un accord d’intéressement qui versaient une PEPA pouvaient alors bénéficier des exonérations de cotisations sociales. Le contraste entre le premier trimestre 2020 et le premier trimestre 2019 est saisissant : alors que 2 837 accords avaient été signés entre janvier et fin mars 2019, un an plus tard, le nombre d’accords conclus a chuté à 435. En avril 2020, le gouvernement a alors rétabli les conditions initiales ouvrant droit à l’exonération de cotisations sociales et a ajouté des critères autorisant un doublement de la prime (cf. supra). Il a également prolongé la période de versement de la prime jusqu’à la fin de l’année 2020. Mais avec 1 150 accords en 9 mois, le nombre d’accords est resté nettement inférieur au niveau atteint lors du premier trimestre 2019. En 2022, on aurait pu penser que la prime aurait pu compenser l’atonie salariale liée à la crise Covid (report des réunions, diminution des accords salariaux, gel des salaires plus fréquents). Le nombre d’accords conclus tend à montrer que cela n’a pas été le cas.

Périodes de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et nombre d’accords conclus

Année Période de versement de la prime Durée de la période de versement de la prime Nombre d’accords conclus annuellement Nombre d’accords conclus à fin mars Source juridique
2019 11 déc. 2018 – 31 mars 2019 3,5 mois 2 873 2 837 Loi du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales
2020 25 déc. 2019 – 30 mars 2020 3 mois
La prime ne pourra bénéficier de l’exonération des cotisations et contributions sociales que si un accord d’intéressement est mis en œuvre à la date de son versement
1 585 435 Loi du 24 décembre 2019 de financement de la Sécurité sociale pour 2020
2020 1er avril 2020 – 31 décembre 2020 9 mois 1 585 Ordonnance du 1er avril 2020 et loi du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020
2021 1er juin 2021-31 décembre 2021 7 mois 853 Loi du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021
2022 1er janvier 2022 – 31 mars 2022 3 mois 379 Loi du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021

* A fin mars 2022 | Source : CED Groupe Alpha.

Malgré ces résultats mitigés, la loi du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021 a reconduit une nouvelle fois la PEPA pour une période allant du 1er juin 2021 au 31 mars 2022. Pour l’année 2021, la dynamique n’a pas été plus favorable, avec, en moyenne, environ 120 accords conclus mensuellement. L’augmentation de l’inflation au 3e trimestre 2021 et son accélération début 2022 pouvaient laisser penser que les entreprises allaient davantage recourir à la PEPA pour le pouvoir d’achat des salariés. En première analyse, il semble que ce ne soit pas le cas, la dynamique de conclusion des accords restant globalement la même, avec 126 accords conclus mensuellement. Les chiffres définitifs des accords conclus au premier trimestre 2022 seront vraisemblablement un peu plus élevés car tous les accords n’ont pas encore été comptabilisés. Mais ils ne remettront pas en cause le constat d’une dynamique nettement inférieure à celle de 2019.

Source : Legifrance, calculs CED Groupe Alpha

Source : Legifrance, calculs CED, Groupe Alpha

Des accords surtout dans les PME et concentrés dans quelques secteurs

L’analyse de la répartition des accords instaurant une PEPA montre que la prime est relativement concentrée sur trois secteurs : la métallurgie, la santé, les transports et le commerce. Ceux-ci représentent environ 60 % des accords conclus.

Source : Legifrance, calculs CED Groupe Alpha

Source : Legifrance, calculs CED, Groupe Alpha

Par ailleurs, il y a davantage d’accords dans les PME. Environ 90 % des accords sont conclus dans les petites entreprises de moins de 800 salariés, 60 % l’étant dans les entreprises de moins de 200 salariés.

Source : Legifrance, calculs CED Groupe Alpha

Source : Legifrance, calculs CED, Groupe Alpha

Le recours à la prime est donc loin d’être généralisé et homogène.

Cela peut s’expliquer de deux manières :

  • Premièrement, les grandes entreprises ont une politique salariale plus complète et peuvent donc mobiliser des outils qui n’existent pas dans les PME.

Deuxièmement, elles sont davantage couvertes par des accords d’intéressement et de participation. Dans ce cas, l’entreprise a la possibilité de verser unilatéralement un supplément de participation et d’intéressement exonéré de cotisations sociales dont le régime fiscal est identique à celui de la PEPA (exonération d’impôt sur le revenu), à condition que les sommes soient placées sur un plan d’épargne d’entreprise pendant au moins 5 ans. Dans ces entreprises, la PEPA apparaît donc partiellement redondante avec le supplément d’intéressement ou de participation. Le versement d’un supplément d’intéressement ou de participation doit respecter les règles prévues à cet effet par l’accord d’intéressement ou de participation applicable. Dans le cas contraire, un accord spécifique doit être conclu dans l’entreprise pour en prévoir les modalités de versement.

Une stabilité des accords NAO qui traitent de la PEPA

Dans la mesure où la prime a été reconduite chaque année depuis quatre ans, les entreprises auraient toutefois pu décider de l’inclure dans des accords issus des négociations collectives obligatoires (NAO) plutôt que de conclure chaque année un accord spécifique sur le sujet.

Nous avons alors cherché à identifier les accords NAO qui traitent de la PEPA dans leur contenu afin de voir si la dynamique de diffusion de cette prime était, au fil du temps, passée davantage par les accords NAO que par des accords dédiés. Les résultats montrent que ce n’est pas le cas. La part des accords NAO qui évoquent la PEPA dans leur contenu est remarquablement stable, autour de 20-21 %.

Source : Legifrance, calculs CED Groupe Alpha

Source : Legifrance, calculs CED, Groupe Alpha

Un montant moyen maximum de la prime qui évolue peu depuis 2019

En 2020, les augmentations ont été relativement protégées par la chronologie de la crise dans la mesure où la plupart des NAO ont eu lieu avant le début du confinement. Les effets de la crise sur les évolutions salariales se sont pleinement ressentis en 2021, à travers une baisse significative des montants versés. Selon Deloitte, 45 % des salariés n’ont pas eu d’augmentation en 2021. Les augmentations médianes (pour les salariés qui ont été augmentés) ont été de 1,8 % selon Deloitte, de 1,39 % selon People Base CBM et de 1,45 % selon LHH, un plus bas depuis 10 ans.

Les projections de ces cabinets pour 2022 sont plus optimistes. Les hausses médianes devraient se situer autour de 1,8 % pour LHH, 2 % pour Deloitte, 2,36 % pour People Base CRM et 2,5 % pour Mercer (pour les dernières négociations début 2022).  Selon l’Insee, l’acquis de croissance pour le salaire de base est de 2,3 % pour 2022.

Ces hausses sont significatives mais ne sont pas démesurées, surtout au regard des prévisions d’inflation pour 2022 (+2,5 %). Elles ne sont pas le signe d’un emballement des salaires ou d’une spirale prix-salaires mais marquent simplement le début d’une normalisation du marché du travail, voire d’un éventuel rattrapage après un ralentissement engagé il y a plusieurs années : entre 2016 et 2020, les salaires de base ont augmenté de 1,4 % en moyenne, contre +1,9 % entre 2008 et 2015 (période comprenant la crise des subprimes, de la dette et des années de croissance faible).

Les augmentations de salaires devraient être inégales parmi les secteurs. Selon Mercer, les secteurs qui ont peu souffert de la crise sanitaire (banque/assurance, high-tech, pharmacie, matériel médical, etc.) devraient se montrer les plus généreux. Pour Deloitte, les budgets les plus élevés seront distribués dans les entreprises de la chimie, de l’énergie ou encore de la grande consommation (voir graphique). L’automobile ou l’aéronautique, touchés par de fortes contraintes d’approvisionnement, devraient distribuer des augmentations plutôt faibles.

Conclusion

Les accords instaurant une PEPA ont surtout été conclus au lendemain de la crise des gilets jaunes. Depuis lors, la dynamique de ces accords stagne. Ils apparaissent davantage concentrés dans quelques secteurs et dans les PME. Aussi se pose la question de la pertinence de l’augmentation du plafond de cette prime face à des montants versés qui restent jusque-là plafonnés à environ 500 euros en moyenne. Ce relèvement de plafond, s’il était utilisé par les entreprises, reviendrait pour un salarié payé au SMIC à verser entre 2,5 et 5 mois de salaire (selon que le montant du plafond serait de 3 000 ou 6 000 euros) sous forme de prime totalement exonérée de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu. Pour un salarié rémunéré à hauteur de 3 SMIC, cela représenterait entre 0,8 et 1,5 mois de salaire. L’effet d’aubaine, mis en évidence par l’Insee dans son évaluation de la PEPA 2019, risquerait alors d’être renforcé et la question du coût pour les finances publiques se poserait avec insistance.